Adopté en réunion plénière 28 janvier 2025 (version PDF)
Description de la saisine
Le 14 août 2024, M. Nicolas Tavernier, agissant au nom de l’Association nationale pour la promotion et l’avenir de la pédagogie Steiner-Waldorf (Anpaps) en qualité de président, a saisi le CDJM à propos d’un article publié dans le numéro de juin-juillet-août 2024 du trimestriel L’Omerta et titré « Les étranges pratiques ésotériques des écoles Steiner ».
Dans son courrier, M. Tavernier formule le grief de plagiat au détriment de deux articles du mensuel L’Incorrect parus en 2021, d’absence d’offre de réplique et d’atteinte à la dignité d’enseignants d’une école Steiner-Waldorf évoqués dans l’article.
Règles déontologiques concernées
Les textes déontologiques auxquels le CDJM se réfère précisent les obligations du journaliste.
À propos du plagiat :
- Il « cite les confrères dont il utilise le travail, ne commet aucun plagiat », selon la Charte d’éthique professionnelle des journalistes français (1918-1938-2011).
- Il doit « s’interdire le plagiat, la calomnie, la diffamation, les accusations sans fondement ainsi que de recevoir un quelconque avantage en raison de la publication ou de la suppression d’une information », selon la Déclaration des droits et devoirs des journalistes (Munich, 1971, devoir no 8).
- Il « considérera comme fautes professionnelles graves le plagiat, la distorsion des faits, la calomnie, la médisance, la diffamation, les accusations sans fondement », selon la Charte d’éthique mondiale des journalistes (FIJ, 2019, article 10).
À propos de l’offre de réplique :
- Il veille à ce que « la notion d’urgence ou d’immédiateté dans la diffusion de l’information ne [prévale] pas sur la vérification des faits, des sources et/ou l’offre de réplique aux personnes mises en cause », selon la Charte d’éthique mondiale des journalistes (FIJ, 2019, article 5).
À propos de l’atteinte à la dignité :
- Il « respecte la dignité des personnes et la présomption d’innocence », selon la Charte d’éthique des journalistes français (1918-1938-2011).
- Il doit « s’obliger à respecter la vie privée des personnes », selon la Déclaration des droits et devoirs des journalistes (Munich, 1971, devoir no 5).
- Il « respectera la vie privée des personnes » et « la dignité des personnes citées et/ou représentées » et « fera preuve d’une attention particulière à l’égard des personnes interrogées vulnérables », selon la Charte d’éthique mondiale des journalistes (FIJ, 2019, article no 8).
Réponse du média mis en cause
Le 11 octobre 2024, le CDJM a adressé à M. Régis Le Sommier, directeur de la rédaction d’Omerta, avec copie à M. Jérôme Besnard, journaliste, un courrier les informant de cette saisine et les invitant à faire connaître leurs observations, comme le prévoit le règlement du CDJM, dans un délai de quinze jours.
À la date du 28 janvier 2025, aucune réponse n’est parvenue au CDJM.
Analyse du CDJM
➔ L’article objet de cette saisine est paru dans le numéro 5 du trimestriel Omerta consacré à « l’enfance de tous les dangers ». Long de plus de 7 600 signes espaces comprises, il fait partie du chapitre 4, consacré à « l’éducation aux abois ». Il est titré : « Les étranges pratiques ésotériques des écoles Steiner ». Son chapô (texte introductif) résume l’approche choisie :
« Prônant un syncrétisme religieux et une pédagogie alternative, les écoles séduisent certains adeptes du New Age. Pourtant, derrière un individualisme de façade, elles peuvent s’avérer traumatisantes pour les élèves. Inspection académique et Miviludes s’en émeuvent et les plaintes s’accumulent. »
➔ Le requérant indique deux articles en regard : un article du mensuel L’Incorrect, titré « Le malheur de l’anthroposophie », publié en ligne le 27 avril 2021, et un autre titré « Les écoles Waldorf-Steiner », publié le 30 avril 2021, tous deux signés de M. Gabriel Robin. Il affirme que « l’article d’Omerta comporte 4 passages conséquents qui ont été copiés-collés quasi mot pour mot ».
Sur le grief de plagiat
➔ La lecture en parallèle de l’article d’Omerta et des articles d’avril 2021 de L’Incorrect fait effectivement apparaître que :
- les troisième et quatrième paragraphes de l’article d’Omerta sont des copies, à quelques mots près (208 sur 232), des deux premiers paragraphes de l’article de L’Incorrect du 30 avril 2021.
- les cinquième et sixième paragraphes reprennent très largement (168 mots sur 188) le quatrième paragraphe de l’article du 27 avril 2021 de L’Incorrect.
- le passage qui commence par « le luciférisme… » et s’étend sur deux paragraphes jusqu’à « …dispositif religieux auquel on fait participer leurs enfants ! » est une reprise quasi intégrale (296 mots sur 299) des sixième et septième paragraphes de l’article du 27 avril 2021 de L’Incorrect.
- les deux derniers paragraphes de l’article d’Omerta sont repris (203 mots sur 219) des neuvième et dixième paragraphes du même article de L’Incorrect.
➔ Les parties originales de l’article d’Omerta représentent 2 022 signes et espaces au total, (titre et intertitres compris). Il s’agit de :
- dans le chapô, l’évocation du contenu d’un rapport de l’inspection académique sur trois écoles Steiner d’Alsace en octobre 2023, dont celle de Wintzenheim. Ce rapport avait fait l’objet de plusieurs articles de presse, ce qui rend caduque le grief de plagiat de BFM formulé par le requérant. Quand une info est reprise largement par la presse, ne pas citer un des médias l’ayant déjà évoquée ne peut être assimilé à du plagiat. Il est aussi fait mention de deux plaintes portées contre des enseignants de cette école.
- Un rappel du nombre d’écoles Steiner-Waldorf en France et l’affirmation que « la nature des enseignements et les valeurs qui y sont véhiculées ont de quoi inquiéter, au point que la Mission interministérielle de vigilance et de lutte contre les dérives sectaires (Miviludes) s’est penchée sur le sujet en 2021, sans toutefois relever de “dérive sectaire” dans l’établissement de Wintzenheim ».
➔ Sans retour d’Omerta, le CDJM écarte l’hypothèse que cet article ait fait l’objet d’un accord de reproduction avec L’Incorrect. Il souligne que le journaliste d’Omerta n’a pas paraphrasé le texte de L’Incorrect, ou « emprunté » quelques expressions mais a recopié sans vergogne. Au total, neuf paragraphes de l’article d’e Omerta sont des copiés-collés quasi intégraux (quelques mots ou formulations ont été retirés ou changés, moins de cinq ajoutés). Sur 7 659 signes (espaces typographiques comprises) que comprend l’article, le copié-collé est de 5 637 signes. Le plagiat représente plus de 73 % de l’article d’Omerta.
Sur le grief d’absence d’offre de réplique
➔ Le requérant souligne que « le journaliste [d’Omerta] n’a pas pris en compte le droit de réponse de la fédération des écoles Steiner-Waldorf (S-W) publié sur Internet par L’Incorrect (27/04/21) et qui donne lieu à un contradictoire a posteriori ».
Ce droit de réponse concerne les relations entre la fédération des écoles Steiner-Waldorf et L’Incorrect et ne peut être opposé à d’autres médias. Son existence aurait pu cependant inciter Omerta, en plus du respect des bonnes pratiques, à faire une offre de réplique à la fédération des écoles Steiner-Waldorf. En l’absence de réponse à son courrier, le CDJM ne peut que se référer à l’article publié. Il constate qu’il n’est pas porté à la connaissance du lecteur qu’une telle offre ait été faite et soit restée sans réponse. Le grief est fondé.
Sur le grief d’absence d’atteinte à la dignité
➔ Au nom de l’Association nationale pour la promotion et l’avenir de la pédagogie Steiner-Waldorf, M. Tavernier écrit que le journaliste d’Omerta « tend à faire passer les enseignants de l’école de Wintzenheim comme des personnes maltraitant les enfants ayant pour but de supprimer leur individualité, de les couper de la société et pouvant mettre leur vie en jeu ».
Les seuls faits exposés concernant des enseignants de l’école de Wintzenheim sont :
- l’allusion à un rapport de l’inspection académique selon lequel, écrit le journaliste, « quatorze enseignants exerceraient sans autorisation ».
- la mention dans le chapô de l’article de « deux plaintes pour “mise en danger de la vie d’autrui” et une plainte pour négligence, déposée en août 2023, après des faits présumés de viols sur une enfant de quatre ans par ses camarades ».
L’article ne dit pas que ces enseignants ont commis les faits cités dans les plaintes, mais qu’ils sont l’objet de plaintes. Leur dignité n’est pas atteinte, pas plus lorsqu’il est écrit que certains n’ont pas d’autorisation d’exercer selon un rapport officiel. Ce grief n’est pas fondé.
Conclusion
Le CDJM, réuni le 28 janvier 2025 en séance plénière, estime que les obligations déontologiques concernant le plagiat et l’offre de réplique n’ont pas été respectées, et que celle concernant le respect de la dignité l’a été.
La saisine est déclarée partiellement fondée.
Cet avis a été adopté par consensus.