Avis sur la saisine n° 24-084 et similaire

Adopté en réunion plénière 10 décembre 2024 (version PDF)

Description de la saisine

Le 3 mai 2024, le CDJM a été saisi en des termes identiques par M. Julien Lamothe, agissant au nom de l’Association nationale des organisations de producteurs (Anop) en tant que secrétaire général, et par M. Marc Ghiglia, agissant au nom de l’Union des armateurs à la pêche de France (UAPF) en tant que délégué général. Ces saisines portent sur le contenu de l’émission « Maman, j’ai arrêté l’avion – Une mer sans poissons ? » diffusée le 8 février 2024 par La Chaîne parlementaire (LCP).

Les associations requérantes formulent dans ces saisines les griefs de non-respect de l’exactitude et de la véracité, d’absence d’offre de réplique et de conflit d’intérêts. Elles relèvent, concernant la protection des aires marines protégées, des citations qu’elles considèrent être des « imprécisions » ou des « inexactitudes ». De même, elles affirment qu’est présentée à cinq moments de l’émission « une opposition de la pêche industrielle et de la pêche artisanale sans savoir quels sont les contours de chacune d’elles ».

Elles regrettent « le manque d’impartialité des journalistes qui ont orienté l’émission en faveur des idées défendues par l’ONG Bloom ». « Certains faits, avancent-elles, n’ont pas été rapportés correctement par les journalistes. » Enfin, elles relèvent comme inexacte l’affirmation d’une journaliste : « Pour l’instant, on importe 95 % de notre consommation. »

Concernant l’absence d’offre de réplique, les associations requérantes déplorent que dans le débat qui clôt l’émission, « attaquée de toute part [par les invités de LCP], la pêche professionnelle n’est pourtant pas représentée en plateau ».

Elles appuient le grief de conflit d’intérêts sur l’affirmation « la journaliste Daphné Roulier […] fait partie des 91 personnalités qui soutiennent la coalition “Ocean Coalition” lancée par l’ONG environnementale Bloom le 26 mars 2024, soit dix-huit jours après la diffusion de l’émission ».

Règles déontologiques concernées

Les textes déontologiques auxquels le CDJM se réfère précisent les obligations du journaliste.

À propos du respect de l’exactitude et de la véracité :

  • Il « tient l’esprit critique, la véracité, l’exactitude, l’intégrité, l’équité, l’impartialité, pour les piliers de l’action journalistique ; tient l’accusation sans preuve, l’intention de nuire, l’altération des documents, la déformation des faits, le détournement d’images, le mensonge, la manipulation, la censure et l’autocensure, la non-vérification des faits, pour les plus graves dérives professionnelles », selon la Charte d’éthique professionnelle des journalistes français (1918-1938-2011).
  • Il doit « respecter la vérité, quelles qu’en puissent être les conséquences pour lui-même, et ce, en raison du droit que le public a de connaître », selon la Déclaration des droits et devoirs des journalistes (Munich, 1971, devoir no 1).
  • Il doit « respecter les faits et le droit que le public a de les connaître », selon la Charte d’éthique mondiale des journalistes (FIJ, 2019, article 1).
  • Il doit « publier seulement les informations dont l’origine est connue ou les accompagner, si c’est nécessaire, des réserves qui s’imposent », selon la Déclaration des droits et devoirs des journalistes (Munich, 1971, devoir no 3).
  • Il « considérera comme fautes professionnelles graves le plagiat, la distorsion des faits, la calomnie, la médisance, la diffamation, les accusations sans fondement », selon la Charte d’éthique mondiale des journalistes (FIJ, 2019, article 10).

À propos de l’offre de réplique :

  • Il veille à ce que « la notion d’urgence ou d’immédiateté dans la diffusion de l’information ne [prévale] pas sur la vérification des faits, des sources et/ou l’offre de réplique aux personnes mises en cause », selon la Charte d’éthique mondiale des journalistes (FIJ, 2019, article 5).

A propos du conflit d’intérêts :

  • Il « n’use pas de la liberté de la presse dans une intention intéressée » et il « exerce la plus grande vigilance avant de diffuser des informations d’où qu’elles viennent », selon la Charte d’éthique professionnelle des journalistes français (1918-1938-2011).
  • Il doit « s’interdire de recevoir un quelconque avantage en raison de la publication ou de la suppression d’une information », selon la Déclaration des droits et devoirs des journalistes (Munich, 1971, devoir no 8).
  • Il « n’usera pas de la liberté de la presse dans une intention intéressée, et s’interdira de recevoir un quelconque avantage en raison de la diffusion ou de la non-diffusion d’une information » et doit « éviter – ou mettre fin à – toute situation pouvant le conduire à un conflit d’intérêts dans l’exercice de son métier », conscient que sa responsabilité « vis-à-vis du public prime sur toute autre responsabilité, notamment à l’égard de ses employeurs et des pouvoirs publics » et doit « éviter toute confusion entre son activité et celle de publicitaire ou de propagandiste » selon la Charte d’éthique mondiale des journalistes (FIJ, 2019, article 13).

Réponse du média mis en cause

Le 31 mai 2024, le CDJM a adressé à Mme Barbara Hurel, directrice des contenus de La Chaîne parlementaire (LCP-AN) avec copie à Mme Daphné Roulier, journaliste, un courriel les informant de cette saisine et les invitant à faire connaître leurs observations, comme le prévoit le règlement du CDJM, dans un délai de quinze jours.

Le 20 juin 2024, Mme Barbara Hurel a répondu au CDJM. Elle indique « que la ligne éditoriale de “Maman, j’ai arrêté l’avion” est d’apporter un éclairage sur la complexité de la mise en œuvre de la transition écologique nécessaire dans notre contexte de réchauffement climatique ». Elle joint à son courriel des réponses aux griefs soulevés. Elle affirme que des points de vue différents sont exposés, et que LCP a contacté ou s’est entretenu « avec différents acteurs de la filière pêche [qui] ont décliné notre invitation ou n’ont pas donné suite ».

Analyse du CDJM

➔ Le CDJM note que le titre général du magazine de LCP – « Maman j’ai arrêté l’avion » – traduit un choix éditorial précis : vulgariser les questions liées à la transition écologique en ne « [s’arrêtant] pas au constat, clair, établi par tous les scientifiques : la catastrophe écologique est en cours, le changement climatique s’accélère, l’effondrement de la biodiversité aussi » mais en essayant de « répondre à la question politique par essence : Que faire ? Comment agir ? Comment s’organiser collectivement ? Par quel chantier commencer ? Quelles sont les solutions à notre portée ? Quelles sont les fausses pistes à éviter ? ». Cela implique des choix de sujets et des angles de traitement en adéquation avec cette démarche proactive. Le CDJM ne se prononce pas sur ces choix éditoriaux.

➔ Il rappelle que son rôle n’est pas de trancher les controverses sur les questions scientifiques mais d’apprécier si les méthodes et le travail du journaliste ont respecté les règles déontologiques définies dans les textes auxquels il se réfère. Il n’entre pas dans ses compétences de dire, par exemple, dans quelle mesure la pêche par chaluts de fond se pratique dans des aires marines protégées, d’infirmer ou de confirmer des déclarations d’experts ou encore de se prononcer sur la valeur d’une étude.

Dans cet esprit, il n’a pas pris en considération des rapports aux conclusions différentes avancés par les parties, et a donc renoncé à se prononcer sur plusieurs griefs formulés. Par souci de clarté, il présente cependant un résumé des arguments des associations professionnelles requérantes et des réponses de la chaîne LCP-AN.

➔ L’émission en cause, intitulée « Maman, j’ai arrêté l’avion – Une mer sans poissons ? », est découpée en deux parties. Elle est introduite par les journalistes Mme Daphné Roulier et M. Raphaël Hitier, qui interrogent : « Comment protéger l’océan quand les aires marines protégées n’ont de “protégé” que le nom ? Et que la pêche industrielle a toujours le vent dans le dos ? » Suit un reportage qui s’interroge sur la « [soutenabilité] de nos modèles de pêche et d’élevage de poissons ». D’une durée de quinze minutes, il montre les difficultés d’un pêcheur artisanal de Loctudy (Finistère), l’activité de chalutiers industriels « dans les eaux territoriales françaises », celle d’une ferme aquacole d’Issigny-sur-Mer (Calvados), d’une militante écologiste dénonçant un projet d’implantation d’élevage intensif de saumon au Verdon-sur-Mer (Gironde), alors que le maire de cette commune le défend. Des extraits d’interviews de M. Olivier Le Nezet, président du Comité national des pêches, et de M. Didier Gascuel, professeur en écologie marine à Rennes, exposent après chaque séquence des points de vue opposés.

La dernière partie de l’émission, d’une durée de quarante minutes, est un débat entre Mme Claire Nouvian, fondatrice de l’ONG Bloom, M. Pierre Karleskind, député européen Renaissance et président de la commission de la pêche au Parlement européen, et M. Harold Levrel, professeur d’économie écologique.

Des séquences sur les dangers de l’exploitation des nodules polymétalliques des grands fonds ou sur la restauration des écosystèmes marins et des stocks de poissons sauvages grâce à la création d’habitats marins artificiels pour les poissons sont insérées dans le débat.

En fin d’émission, la militante écologiste Mme Camille Étienne présente une « Carte Verte », chronique dans laquelle elle dénonce « la guerre déclarée aux poissons ».

Sur le grief d’inexactitude

Les requérants articulent ce grief sur plusieurs thèmes évoqués dans l’émission, en s’appuyant sur des citations des journalistes de LCP.

Sur la protection des aires marines protégées (AMP). Selon eux, ce qui est dit sur la protection des aires marines protégées comporte des « imprécisions » et des « inexactitudes ».

Relevant qu’il est dit par Mme Roulier que ​​« les aires marines protégées n’ont de “protégé” que le nom » et que, « la protection stricte ne concerne que, je crois, 0,5 % de notre territoire maritime, à peine », ou que « les scientifiques ne parlent pas du cas par cas, mais de la nécessité de protéger 30 % des aires marines », ils affirment que « le code de l’environnement recense onze grandes catégories d’AMP dont l’objectif principal est d’assurer la préservation du patrimoine naturel, et des objectifs complémentaires qui peuvent être poursuivis, dont le développement durable des activités maritimes » et que « contrairement aux orientations données dans l’émission, il n’en existe donc pas qu’un seul type, en l’occurrence des zones de protection forte/stricte ».

Dans son courriel au CDJM, LCP répond sur ce point : « Nous connaissons les droits français et européen. Nous savons précisément que les AMP en France n’interdisent pas les activités humaines, et c’est bien tout cela l’enjeu : on appelle AMP, en France, des zones qui ne le sont pas, selon la définition internationale de ce qu’est une AMP. »

Il y a deux niveaux d’analyse, l’un sur la définition légale des AMP, l’autre sur leur définition scientifique, mais il n’y a pas d’inexactitude.

Sur les « effets de débordement ». Dans l’émission, il est dit par Mme Roulier que « les études montrent que plus on protège les aires marines, plus les stocks sont importants, plus les tonnages de poissons doublent quasiment. Donc en fait, tout le monde est gagnant ». Les associations requérantes objectent qu’« il n’existe que peu de preuves montrant qu’une AMP plus grande, adaptée à la protection des espèces mobiles et des étapes clés de leur cycle de vie, génèrera les mêmes bénéfices en dehors de cette AMP ». Ils ajoutent que « la communauté scientifique internationale discute toujours de ces “effets de débordement”, qui ne devraient pas être généralisés et donc étudiés au cas par cas » et que « le manque de vérification de la part des journalistes encourage la désinformation de l’audience ».

Le CDJM note que les associations requérantes elles-mêmes précisent que la communauté scientifique discute des effets de débordement. Citer les études qui valident cet effet, comme le fait Mme Roulier n’est pas un manque de vérification, mais un choix. On peut cependant regretter l’utilisation par la journaliste, en direct, de l’expression « les études » plutôt que la formule « des études », plus nuancée.

Sur l’opposition entre la pêche industrielle et la pêche artisanale. Les associations requérantes citent plusieurs expressions employées par les journalistes de LCP : « le problème, ce sont les chalutiers géants qui ratissent les mers » (à 4 min 23 s du début de l’émission) ; « En France métropolitaine, la pêche artisanale représente 70 % des navires, mais seulement 22 % des captures » (à 4 min 56 s) ; « Les chalutiers géants vident les océans de leurs ressource » (à 5 min 23 s) ; « La pêche artisanale, elle, déplore sa disparition programmée » (à 5 min 32 s).

Le CDJM constate que les requérants listent, à l’appui du grief d’inexactitude, des expressions qui relèvent de choix rédactionnels, sans démontrer en quoi elles sont inexactes.

Sur les motions de l’Union internationale pour la conservation de la nature (UICN). Les associations requérantes estiment que les journalistes reprennent l’« argumentaire déployé par l’ONG Bloom depuis la COP 15 [qui] suit le concept d’une pêche industrielle incompatible avec les AMP tel que défini par la motion 066 de l’UICN adoptée en 2020 ». Ils soulignent « qu’une motion adoptée à l’UICN n’est pas une mesure contraignante pour les parties membres. Elles y sont adoptées à la majorité, sur proposition du ou de plusieurs membres, et l’UICN représente 1 424 parties dont 91 États et 1 142 ONG. La France s’était d’ailleurs abstenue lors de l’adoption de cette motion […] »

LCP explique au CDJM qu’elle considère l’UICN comme « source de vocabulaire fiable ; elle est l’organisation internationale de référence pour la conservation de la nature et des écosystèmes, et permet de donner une légitimité internationale à des recommandations scientifiques qui font consensus. L’UICN a une gouvernance et une architecture très spécifiques qui lui confèrent sa légitimité parce que l’on y retrouve des scientifiques, des ONG, des peuples autochtones, des États et des agences environnementales. C’est une organisation internationale dont on ne peut pas balayer l’avis qui serait non légitime. Ce qu’elle publie doit être pris avec sérieux, premièrement puisque la France considère l’UICN suffisamment légitime et sérieuse pour en être membre. »

LCP ajoute : « La France s’est abstenue lors de l’adoption de la motion 066. Mais ce n’est pas parce que la France s’abstient et décide de ne pas prendre position qu’il ne peut pas y avoir de débat. Quand on dit que la France ne respecte pas les recommandations scientifiques internationales et les recommandations de l’UICN, on ne dit pas que la France est en train de violer une norme de droit international, mais simplement que la France ne met pas en oeuvre les recommandations internationales pour la protection des écosystèmes marins. Le fait que la France décide de ne pas suivre une recommandation pour la conservation de la nature est une chose, mais le consensus scientifique reste toujours le même. »

Les journalistes de LCP ont fait le choix de reprendre des formulations de l’UICN, ce qui relève de leur liberté éditoriale. La différence de perception des motions de l’UICN par les parties est une question qui ne relève pas du respect de l’exactitude des faits exposés.

Sur l’utilisation du verbe « ratisser ». Relevant, à 4 min 23 s du début de l’émission, la phrase « le problème, ce sont les chalutiers géants qui ratissent les mers », les requérantes estiment que « le choix sémantique réalisé par les journalistes en utilisant le verbe “ratisser” qui sous-entend un contact avec le fond marin alors que ce n’est pas toujours le cas (par exemple, le chalut pélagique qui est traîné en pleine eau) est par ailleurs préjudiciable pour la profession ».

LCP répond sur l’emploi du verbe « ratisser » : « Selon le dictionnaire français, “ratisser” veut dire “prendre, ramasser entièrement ce qui se trouve quelque part”. Notre emploi de ce verbe ne sous-entend donc pas forcément un contact avec le fond marin, simplement une extraction des espèces marines qui s’y trouvent. »

L’emploi de ce verbe est un choix rédactionnel lexical, pas une faute déontologique.

Sur la pêche au chalut de fond dans les aires marines protégées (AMP). Les associations requérantes estiment notamment que « toutes les AMP n’ont donc pas pour objectif de protéger les fonds marins ou d’exclure les activités humaines. Elles ont vocation à assurer la préservation du patrimoine naturel, mais elles ont aussi des objectifs propres et précis selon les espaces où elles sont déployées. Beaucoup sont établies pour protéger les oiseaux ou certaines espèces de poissons de surface qui ne sont pas affectés par l’utilisation d’engins de fond comme les chaluts. Interdire les engins de fond dans toutes les aires marines protégées n’a donc pas de sens, et véhiculer cette idée dans les médias est un manque de rigueur journalistique et de vérification des informations à l’heure même où la principale étude (Sala et al. 2021) établissant un lien entre la fermeture stricte des AMP à la pêche et l’augmentation des stocks de poissons a été rétractée.

En outre, et contrairement à ce qui est affirmé, les scientifiques ne sont pas unanimes pour dire qu’il “faut en finir avec le chalutage de fond et créer de toute urgence des aires marines protégées dignes de ce nom” puisqu’ils ont décidé de retirer du projet de la Convention sur la diversité biologique l’objectif de 10 % des zones sous protection stricte (voir à ce titre le Draft zero CDB, version du 06/01/2020, page 9, point 2, et la deuxième version du projet du 17/08/2020). La récente étude de Hilborn et al. 2023 montre elle aussi bien que les scientifiques ne s’accordent pas sur une position. »

Dans sa réponse au CDJM, Mme Barbara Hurel écrit au nom des équipes de LCP :

« L’UICN, nous le rappelons, l’organisation internationale de référence pour la conservation de la nature et des écosystèmes, stipule qu’on ne peut pas appeler AMP une zone dans laquelle on a des infrastructures de la pêche industrielle et du chalutage.

Assurer que l’on fait un amalgame car le cadre de loi est permissif, c’est un hors-sujet complet. Ce n’est pas une question de cadre de loi, c’est une question de l’impact que ça a sur les écosystèmes marins, qui est intrinsèque. L’impact physique du chalutage de fond sur les AMP est expliqué par le principe même du chalutage de fond qui est d’avoir un engin lourd, tracté à une certaine vitesse sur le fond marin, pour en déloger des poissons.

Nous connaissons le droit français et européen. Nous savons précisément que les AMP en France n’interdisent pas les activités humaines, et c’est bien tout cela l’enjeu : on appelle AMP, en France, des zones qui ne le sont pas, selon la définition internationale de ce qu’est une AMP. Encore une fois, cela relève de notre travail de journalistes : questionner l’existant, interroger l’utilité même d’avoir des AMP qui autorisent la pratique du chalut de fond en faveur des activités humaines plutôt que pour la préservation de l’environnement. Une AMP, si elle n’interdit pas aujourd’hui toute activité, c’est que le droit européen n’est pas aligné sur les recommandations scientifiques.

La communauté scientifique est unanime sur le fait que le chalutage doit être interdit et que les AMP doivent être contrôlées selon les critères de l’UICN (voir ici et ). L’UE, dans son Plan d’action pour l’océan adopté en février 2023, stipule elle-même que d’ici 2030, il faut interdire le chalutage de fond dans toutes les AMP d’Europe. En réponse à ce plan d’action, la Grèce et la Suède viennent d’interdire le chalutage de fond dans toutes les AMP d’ici 2030. Sur la base du consensus scientifique et des recommandations européennes, une AMP ne peut pas avoir de chalutage, car le chalutage détruit les écosystèmes marins. »

Le CDJM a vérifié si les affirmations (études de référence, définitions des réglementations internationales, chiffres…) nommément dénoncées par les requérants et pour la plupart précisées par LCP, étaient basées sur de véritables publications. Il n’a pu recenser aucune erreur flagrante. Il y a clairement une lecture divergente des textes dont il est fait référence (les hyperliens ci-dessus sont ceux indiqués en note par les parties). En outre, comme le soulignent les associations requérantes, « les scientifiques ne sont pas unanimes » sur l’impact du chalutage de fonds sur les aires marines protégées. Le rôle du CDJM n’est pas d’arbitrer cette controverse.

Sur le nombre de navires industriels en pêche dans les AMP. Les associations requérantes dénoncent la mention faite par les journalistes que « 47% des navires industriels pêchent dans les AMP ».

Cette phrase est prononcée en conclusion d’une séquence consacrée à des opérations de pêche de « chalutiers géants au large de Boulogne-sur-Mer », illustrée par des images tournées par l’association Sea Shepherd France (et identifiées comme telles à l’écran). Le commentaire off précise : « En l’espace d’une semaine, Sea Shepherd affirme avoir comptabilisé neuf chalutiers comme celui-ci dans la Manche, dont six dans les eaux territoriales françaises. » La présidente de Sea Shepherd ajoute que « ces bateaux pêchent dans les eaux territoriales, dans les aires marines protégées ». Le commentaire reprend : « Une pêche qui n’est pas illégale même dans les aires protégées. C’est ainsi que 47 % de ces navires industriels pêchent dans ces aires marines pourtant mises en place pour protéger l’écosystème marin. »

Les associations requérantes contestent la citation de ce chiffre, 47 %, établi par l’association Bloom, en arguant qu’il « se base sur les données AIS de Global Fishing Watch […] données, utilisées pour prévenir les risques de collisions en mer [et] en complément des données VMS (système de surveillance des navires par satellite) pour contrôler la pêche. Contrairement à ce qui est donc affirmé, les données AIS ne permettent en aucun cas de caractériser ni l’effort, ni l’intensité de pêche avec exactitude. Leur interprétation peut de ce fait mener à des résultats complètement biaisés, faussant totalement la représentation des activités de pêche. Les données fournies par Global Fishing Watch ne disposent pas du niveau de précision permettant de différencier si un navire est effectivement en train de pêcher, ou s’il est en route. »

LCP défend que « ce chiffre est confirmé par de multiples études scientifiques, comme celle du chercheur Manuel Dureuil, et pas seulement par l’ONG Bloom », que « les données de Global Fishing Watch utilisées ne sont pas des données de présence en mer, ce sont des données d’efforts de pêche apparents. Quand un bateau est en mer, soit il est en transit, dans ces cas-là il ira vite et tout droit, soit c’est un bateau qui est en train de pêcher, auquel cas il aura une trajectoire plus rectiligne et/ou une vitesse très réduite par rapport à sa vitesse de transit.

Global Fishing Watch a un algorithme qui permet de mouliner les données de positionnements satellites et de filtrer uniquement ce qui correspond à de l’effort de pêche apparent, c’est-à-dire à de vitesses réduites et à des trajectoires qui ne sont pas rectilignes. ll est ainsi observé que 47 % du temps passé par ces bateaux de plus de 15 mètres, qui correspondent tous à la définition de la pêche industrielle au sens de l’UICN, se fait dans les AMP, c’est-à-dire dans les zones qui sont dites protégées au sens du droit français. »

Là encore, le rôle du CDJM n’est pas d’arbitrer cette controverse. La reprise de ce chiffre – dont on peut regretter qu’il ne soit pas clairement sourcé – au terme d’une séquence portant sur les grands chalutiers est un choix éditorial.

Sur la part des importations dans la consommation française de poissons. Les associations requérantes relèvent que Mme Roulier dit en direct à un des invités : « Pour l’instant, on importe 95 % de notre consommation. » Pour elles, « cette déclaration de la part de la journaliste met en lumière le manque de rigueur journalistique puisque ce chiffre ne fait pas référence aux importations françaises des produits de la mer, mais uniquement à l’importation de saumon ».  Ce chiffre est immédiatement corrigé par son interlocuteur, qui lui dit : « 70 % ! On importe 70 % de notre consommation de poissons », et Mme Roulier ne conteste pas cette rectification. S’il y a bien inexactitude, elle est immédiatement rectifiée, comme le demandent les chartes de déontologie auxquelles se réfère le CDJM.

Sur le grief de non-respect de l’offre de réplique

➔ L’Association nationale des organisations de producteurs (Anop) et l’Union des armateurs à la Pêche de France (UAPF) dénoncent un non-respect de l’offre de réplique à la fois dans le reportage et sur le plateau d’invités qui suit sa diffusion. « Au sein même du reportage, écrivent ces associations, le temps de parole donné à Olivier Le Nézet (Comité national des pêches et des élevages marins) est de 37 secondes. Dans ce même reportage, Didier Gascuel (auteur scientifique d’un rapport financé par Bloom) et Lamya Essemlali (présidente de Sea Shepherd France) reçoivent respectivement un temps de parole de 55 secondes et 1 minute 18 secondes. »

LCP répond que « compter seulement le temps de parole d’Olivier Le Nézet, c’est exclure les autres acteurs du monde de la pêche interviewés, comme Pascal Goumain, directeur de Saumons de France, ou Jonathan Firmin, pêcheur artisanal. Eux aussi défendent une vision du monde de la pêche différente de celle de Didier Gascuel et Lamya Essemlali. Eux aussi constituent notre reportage, permettent sa diversité des discours et équilibrent le temps de parole donné à chacun. »

➔ Les associations requérantes estiment « regrettable que le principe du contradictoire journalistique soit le grand absent des débats qui suivent la diffusion du reportage sur le plateau de l’émission, en ne proposant pas d’invité issu de la profession et représentant l’expression pluraliste des opinions ». Mme Barbara Hurel affirme au nom de LCP que « concernant la constitution du plateau d’invités qui suit la diffusion du reportage, l’équipe éditoriale de “Maman, j’ai arrêté l’avion” a contacté ou s’est entretenu avec différents acteurs de la filières pêche (entre autres La Scapêche, Système U, Casino, Leclerc, Pavillon français et M. Ghiglia des Armateurs de France). Ils ont décliné notre invitation ou n’ont pas donné suite ».

➔ Le CDJM note que le reportage qui ouvre l’émission, qui fait clairement le choix éditorial d’interroger des pratiques que les auteurs considèrent conduire à une surconsommation de poissons, donne cependant la parole à des points de vue opposés. Il estime que le temps accordé à chaque interlocuteur est un libre choix rédactionnel. Concernant le débat, il considère qu’une contradiction a été portée à certaines des analyses des représentants de l’association Bloom par le président de la commission de la pêche au Parlement européen, M. Pierre Karleskind. Il prend acte qu’une offre de réplique, selon la directrice des contenus de La Chaîne parlementaire (LCP), a été faite en vain à plusieurs représentants de la filière, mais regrette que cela n’ait pas été précisé aux téléspectateurs.

Sur le grief de conflit d’intérêts

L’Association nationale des organisations de producteurs et l’Union des armateurs à la pêche de France affirment que « le manque d’indépendance de la journaliste Daphné Roulier est manifeste puisqu’elle fait partie des 91 personnalités qui soutiennent la coalition “Ocean Coalition” lancée par l’ONG environnementale Bloom le 26 mars 2024, soit dix-huit jours après la diffusion de l’émission ».

Au nom de LCP-AN, sa directrice des contenus, Mme Barbara Hurel affirme que « Daphné Roulier a préparé le programme en toute indépendance et avec toute la rigueur journalistique nécessaire, son soutien à une ONG de protection des océans est le fait d’une initiative personnelle et l’expression de sa liberté individuelle ».

➔ Le CDJM rappelle que les textes déontologiques précisent qu’un journaliste doit « éviter toute confusion entre son activité et celle de publicitaire ou de propagandiste », mais que cela ne peut conduire à interdire aux journalistes de jouir des mêmes libertés que l’ensemble des citoyens, à commencer par celles d’expression, de manifestation et de pétition. Il estime cependant que les journalistes ne peuvent confondre leurs engagements personnels et leur activité professionnelle, et doivent éviter tout ce qui pourrait nourrir a priori une suspicion sur leur indépendance, et, pour certains, exploiter leur notoriété.

Il arrive que des journalistes s’engagent ou soutiennent une cause découverte à l’occasion d’un reportage. En l’espèce, cette hypothèse ne peut être exclue. On ne peut donc considérer que le fait que la journaliste Mme Daphné Roulier apparaisse dans une pétition plus de deux semaines après la diffusion de l’émission en cause traduise l’existence d’un conflit d’intérêts préexistant à la réalisation de l’émission. Ce soutien de la journaliste (parmi 91 personnalités) à la coalition « Ocean Coalition » lancée par l’ONG environnementale Bloom le 26 mars 2024, soit dix-huit jours après la diffusion de l’émission, peut cependant porter atteinte à sa crédibilité journalistique si Mme Roulier devait traiter à nouveau de ces sujets.

Conclusion

Le CDJM, réuni le 10 décembre 2024 en séance plénière, estime que les obligations déontologiques d’exactitude, d’offre de réplique et de d’absence de conflit d’intérêts n’ont pas été enfreintes.

Les saisines sont déclarées non fondées.

Cet avis a été adopté par consensus.

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