Adopté en réunion plénière du 10 décembre 2024 (version PDF)
Description de la saisine
Le CDJM a été saisi le 14 août 2024 par M. Maxime Engloo (saisine 24-134) puis le 23 août 2024 par M. Camille Muzard (saisine 24-138), à propos d’une séquence diffusée dans « Le 20 h » de TF1 du 10 août 2024 et titrée « Électrique, thermique ou hybride : on a testé pour vous ». Cette séquence compare les performances sur le même parcours de véhicules à motorisation diesel, hybride et électrique.
Les requérants formulent le grief d’inexactitude, des éléments essentiels à la compréhension de l’information ayant été omis par les journalistes selon eux. Pour M. Engloo, ce reportage « présente la voiture électrique comme une contrainte et la voiture diesel comme la “plus rapide”, en insistant sur des “galères” créées sur mesure : bornes en panne ou lente, alors que l’autoroute disposait de bornes rapides, qui se révèleront être la solution ». M. Muzard dénonce quatre « principales manipulations et erreurs », concernant le choix de l’itinéraire, celui des bornes de recharge du véhicule électrique, de la charge de sa batterie au départ du test, et du coût de cette recharge.
Recevabilité
➔ M. Engloo, auteur de la saisine 24-134, appuie le grief d’inexactitude sur l’absence de trois informations qu’il juge essentielles :
- le reportage « ne compare pas avec les alternatives en transport en commun existantes sur ce trajet (Lille-Rouen-Bréauté-Étretat), à moins de 50 euros sans carte de réduction pour un temps de trajet de 4 h 30 ».
- les voitures utilisées « sont tous des véhicules de type SUV, dont les problèmes sur la sécurité routière et écologiques ont été prouvés par plusieurs études. Des alternatives électriques plus écologiques, économiques et avec plus d’autonomie (permettant de faire le trajet en une fois sans charge) existent sans qu’aucune mention en soit faite ».
- le reportage montre « trois personnes faisant un long trajet seul dans leur voiture. Cela, pour deux d’entre eux, sans marquer d’arrêt. Cela représente un risque d’un point de vue sécurité routière, [tandis que] l’autosolisme est un problème majeur d’un point de vue encombrement des routes et environnement. »
Les journalistes de l’agence Internep, qui a réalisé ce comparatif pour TF1, ont choisi de traiter de la comparaison entre trois types de motorisation – et non de la critique des SUV, de la comparaison train-auto ou encore du respect du code de la route. Le CDJM, attentif au seul respect de la déontologie, s’interdit de porter des jugements sur les choix éditoriaux (article 1.2 de son règlement intérieur). La saisine 24-134 est irrecevable.
Règles déontologiques concernées
Les textes déontologiques auxquels le CDJM se réfère précisent les obligations du journaliste.
À propos du respect de l’exactitude et de la véracité :
- Il « tient l’esprit critique, la véracité, l’exactitude, l’intégrité, l’équité, l’impartialité, pour les piliers de l’action journalistique ; tient l’accusation sans preuve, l’intention de nuire, l’altération des documents, la déformation des faits, le détournement d’images, le mensonge, la manipulation, la censure et l’autocensure, la non-vérification des faits, pour les plus graves dérives professionnelles », selon la Charte d’éthique professionnelle des journalistes français (1918-1938-2011).
- Il doit « respecter la vérité, quelles qu’en puissent être les conséquences pour lui-même, et ce, en raison du droit que le public a de connaître », selon la Déclaration des droits et devoirs des journalistes (Munich, 1971, devoir no 1).
- Il doit « respecter les faits et le droit que le public a de les connaître », selon la Charte d’éthique mondiale des journalistes (FIJ, 2019, article 1).
- Il doit « publier seulement les informations dont l’origine est connue ou les accompagner, si c’est nécessaire, des réserves qui s’imposent », selon la Déclaration des droits et devoirs des journalistes (Munich, 1971, devoir no 3).
Réponse du média mis en cause
Le 28 août 2024, le CDJM a adressé à M. Thierry Thuillier, directeur de l’information du groupe TF1, avec copie à M. Sébastien Hembert, journaliste à l’agence Internep, un courrier les informant de cette saisine et les invitant à faire connaître leurs observations, comme le prévoit le règlement du CDJM, dans un délai de quinze jours. Ce courrier a été adressé à nouveau à M. Hembert le 15 novembre 2024.
À la date du 10 décembre 2024, aucune réponse n’est parvenue au CDJM.
Analyse du CDJM
➔ Le reportage en cause a été réalisé par l’agence Internep, qui assure la correspondance pour le journal de TF1 dans les Hauts-de-France. D’une durée de 4 min 19 s, il est diffusé dans le journal télévisé de 20 heures de TF1 le 10 août 2024. Il propose un test entre trois voitures – une diesel, une hybride et une électrique – sur un trajet long de 310 kilomètres entre Villeneuve-d’Ascq (Nord) et Étretat (Seine-Maritime). Les conditions de ce test sont d’abord exposées : « On va tous à Étretat. On fait moitié autoroute, moitié nationale. On respecte les limitations de vitesse. » Le commentaire explique ensuite, tandis qu’une carte animée montre l’itinéraire retenu : « Et c’est parti pour 310 kilomètres. Départ de Villeneuve-d’Acsq, pour Étretat en Normandie. »
La séquence suivante montre les trois journalistes au volant. La première journaliste indique : « J’ai fait le plein dans ma voiture diesel. Ça m’a couté 100 euros et j’ai 640 kilomètres d’autonomie : je peux donc aller à Étretat sans problème. » Le deuxième journaliste, M. Sébastien Hembert, précise : « J’ai chargé ma voiture électrique cette nuit. Ça m’a coûté 9 euros d’électricité, et la batterie m’affiche une autonomie de 388 kilomètres. Donc, à mon avis, je vais devoir recharger en cours de route. » Le troisième journaliste explique : « Quant à moi, je roule avec une voiture hybride. C’est-à-dire que ce véhicule dispose de deux moteurs. Un thermique : avant de partir, on dû mettre le plein. Ça m’a coûté environ 80 euros pour 700 kilomètres d’autonomie. Et lorsque je freine, lorsque la voiture ralentit, le moteur électrique s’enclenche et se recharge en même temps. »
M. Hembert indique alors que ses deux collègues « filent tout droit vers Étretat » et raconte les difficultés qu’il rencontre au volant de la voiture électrique, à partir de 1 min 20 s : « Pour moi c’est un peu plus compliqué : après 200 kilomètres de route, la batterie affiche 30 % d’autonomie. » Le reportage montre alors M. Hembert à la recherche d’une borne électrique. La première n’a « pas l’air de fonctionner » et un technicien contacté par le journaliste confirme qu’elle est « en cours de maintenance ». La seconde affiche « une durée de chargement [de] 5 h 15 min. Et il vaut mieux en rire ! » Les deux autres véhicules sont montrés à leur arrivée à destination, tandis que M. Hembert poursuit sa recherche en reprenant l’autoroute. « Mais cette station de recharge est en panne. Décidément ! » commente-t-il. Puis il annonce qu’« enfin [il trouve] une borne électrique ultra rapide : on était à 28 % et il nous propose 30 minutes pour revenir à 100 % ».
La dernière séquence montre les trois équipes de reporters réunies à Étretat. M. Hembert constate qu’il a « une heure et demie de retard » puis conclut : « Résultat : le diesel est la voiture la plus chère, la plus polluante mais la plus rapide. L’hybride consomme beaucoup d’essence mais propose une alternative avec le moteur électrique. Et si vous voyagez avec une voiture “full electric” , c’est la plus économique, c’est celle qui pollue le moins, mais c’est la plus lente. Il faudra donc préparer à l’avance son parcours pour ne pas tomber en panne. »
Sur le grief d’inexactitude
➔ Le requérant M. Camille Muzard fonde le grief d’inexactitude sur quatre observations :
- Le choix de l’itinéraire. « Le trajet suivi dans le reportage ne correspond en rien aux recommandations des planificateurs d’itinéraire disponibles dans les véhicules électriques modernes. »
- Le choix de la borne de recharge. « Le journaliste a sciemment choisi de s’arrêter à une borne de recharge lente de 22 kW, alors qu’une borne rapide de 100 kW était disponible à proximité. Ce choix délibéré a considérablement allongé le temps de recharge et, par conséquent, le temps total du trajet. Cette manipulation est inacceptable, surtout dans un contexte où la rapidité de la recharge est un facteur crucial pour évaluer la pertinence des véhicules électriques. »
- L’état de préparation des véhicules. Les véhicules diesel et hybride ont fait le plein avant le départ, tandis que « le reportage indique un départ avec 80 % de batterie [pour le véhicule électrique], alors qu’il est évident qu’un départ avec une batterie pleinement chargée optimise l’autonomie. De plus, l’utilisation non optimale de la climatisation et de la vitesse a été utilisée pour simuler une perte d’autonomie plus importante qu’elle ne l’est en réalité sur les modèles récents. Ce manque de rigueur relève clairement de la mauvaise foi. »
- La comparaison du coût des trajets. Le requérant considère que le coût de recharge de la batterie du véhicule électrique est « délibérément exagéré : le reportage insiste sur le coût élevé de la recharge sur l’autoroute, omettant sciemment de mentionner que ce coût est significativement réduit en dehors des aires d’autoroutes ».
➔ Le reportage se présente comme un test. L’utilisation de ce mot induit que les trois véhicules doivent se trouver dans des conditions similaires pour permettre une comparaison pertinente et informative.
Sur le choix de l’itinéraire. Les règles sont fixées dès le départ. Moitié autoroute et moitié route nationale pour aller de Villeneuve-d’Ascq à Étretat. Les trois véhicules effectuant le même trajet, cela relève a priori d’une égalité de traitement.
Mais le trajet imposé n’est ni le plus rapide (selon Google Maps), ni surtout celui recommandé, par exemple, par l’application ChargeMap dédiée aux véhicules électriques.
Néanmoins, d’un point de vue théorique (c’est-à-dire au regard des simulations des applications), et en respectant l’itinéraire choisi par TF1 qui passe par Doullens et Abbeville (Somme), le temps de trajet serait à peine plus long pour le véhicule électrique s’il doit recharger une fois. Même si le choix de l’itinéraire imposé est singulier – et peut être celui fait par un automobiliste novice dans l’utilisation d’un véhicule électrique – il ne remet pas en cause l’égalité de traitement entre les véhicules.
Le choix de la borne de recharge. Le journaliste au volant du véhicule électrique choisit d’abord une station de recharge qui s’avère être en panne. Il s’oriente ensuite vers une borne dont il s’aperçoit qu’elle est à recharge lente. Du coup, il ne l’utilise pas. Il se rend alors dans une station-service d’autoroute dont la borne de chargement est elle aussi hors service, avant finalement d’en trouver une, à charge rapide, qui fonctionne.
Il n’est pas expliqué dans le reportage comment a été choisie la borne lente à 22 kW. Les véhicules électriques, dont celui utilisé dans le reportage, sont équipés d’une application dédiée pour rechercher des bornes de recharge. Il faut y sélectionner la puissance de charge recherchée – lente à 22 Kw, rapide au delà de 43 kW. Il est évident que cela n’a pas été fait et que le journaliste au volant de la voiture électrique n’est pas connaisseur des véhicules électriques, ni de leur utilisation. Il semble en effet sincèrement effaré de constater que sur une borne de 22 kW, la durée de recharge serait de 5 h 15 min.
Il n’utilise visiblement pas l’ordinateur de bord qui lui donnerait toutes les informations pour trouver une borne rapide : à quelques centaines de mètres seulement de la borne 22 kW, il y a une borne rapide 100 kW, indiquée par l’ordinateur de bord. C’est ce que prouve la contre-enquête diffusée sur YouTube par un internaute, Max BLD, qui a refait le même itinéraire avec la même voiture que celle utilisée par TF1 (même immatriculation).
Le fait que le journaliste au volant de la voiture électrique semble ignorer l’ensemble des outils existants pour faire les bons choix en matière de recharge fausse indéniablement l’équité du test.
L’état de préparation des véhicules. Au début du reportage, le commentaire annonce une autonomie possible de 388 kilomètres pour le véhicule électrique : « J’ai chargé ma voiture électrique cette nuit, ça m’a coûté 9 euros d’électricité et la batterie m’affiche une autonomie de 388 kilomètres. Donc à mon avis je vais devoir recharger en cours de route. » Il n’est pas indiqué si les batteries sont chargées au maximum. Mais on peut le supposer, puisque les autres voitures partent avec le plein. Cela serait la preuve d’une égalité de traitement.
Or, le modèle électrique utilisé par le journaliste est une Volkswagen ID 4, dont la documentation du constructeur annonce une autonomie théorique de la batterie de plus de 500 kilomètres. Cette indication est donnée par l’internaute Max BLD qui, dans sa contre-enquête, montre une image de l’écran de cette même voiture, lequel indique, pour une charge à 92 %, une autonomie théorique de 468 kilomètres. Donc les 388 kilomètres d’autonomie théorique que le journaliste de TF1 annonce au départ prouvent, comme le soutient le requérant, que le véhicule n’est chargé qu’à environ 80 %.
Cette différence essentielle n’est pas précisée dans le commentaire. Le test n’est donc pas réalisé avec une égalité de traitement entre les trois véhicules.
La comparaison du coût des trajets. Le reportage ne fait effectivement pas mention du coût élevé de la recharge sur l’autoroute comparé à une recharge domestique ou hors autoroute, comme l’indique le requérant. Il fait néanmoins référence au coût moindre du véhicule électrique et à son absence de pollution à l’usage. Il n’y a pas inexactitude.
➔ La conclusion du reportage concernant la voiture électrique est péremptoire : « C’est la plus économique, c’est celle qui pollue le moins, mais c’est la plus lente. Il faudra donc préparer à l’avance son parcours pour ne pas tomber en panne. » Mais l’importante différence de durée de trajet est à mettre essentiellement sur le compte des galères rencontrées (bornes en panne) et sur la méconnaissance du véhicule par le conducteur, incapable de choisir une borne de charge rapide avec les outils informatiques embarqués. En outre, le journaliste n’a pas préparé son voyage comme le ferait tout possesseur averti de véhicule électrique – ce qu’il reconnaît in fine – et les conditions du « test » désavantagent dès le départ le véhicule électrique qui n’est pas parti avec une batterie chargée au maximum, alors que les deux autres partaient « avec le plein ». Ce n’est donc pas le véhicule en lui-même qui a été lent.
Des éléments essentiels à la compréhension de l’information ayant été omis par les journalistes, le grief d’inexactitude est fondé.
Conclusion
Le CDJM réuni le 10 décembre 2024 en séance plénière estime que l’obligation déontologique d’exactitude et de véracité n’a pas été respectée.
La saisine est déclarée fondée.
Cet avis a été adopté par consensus.