Avis sur la saisine n° 24-126

Adopté en réunion plénière 10 décembre 2024 (version PDF)

Description de la saisine

Le 12 juillet 2024, Mme Audran Busvelle a saisi le CDJM à propos d’un article publié le 15 juin 2024 par Rennes Infos Autrement et titré « En marge de la Marche des fiertés : des tensions place de Bretagne ».

Mme Busvelle, qui se présente comme « bénévole chargée de la sécurité de la Marche des fiertés 2024 », estime que cet article ne respecte pas l’exactitude et la véracité, et porte atteinte au respect de sa vie privée. Pour elle, une photo publiée par Rennes Infos Autrement l’assimile aux casseurs, alors qu’elle n’en faisait pas partie. Elle cite également deux faits décrits dans l’article qu’elle affirme être inexacts, sur les causes d’un tir de gaz lacrymogène par la police, et sur le fait qu’il y aurait eu des blessés au cours de cette manifestation.

En outre, la requérante affirme que la photo a été publiée « sans son autorisation » et qu’« en tant que personne LGBT la mise en public de [son] image est dangereuse et pourrait nuire à [sa] vie ».

Règles déontologiques concernées

Les textes déontologiques auxquels le CDJM se réfère précisent les obligations du journaliste.

À propos du respect de l’exactitude et de la véracité :

  • Il « tient l’esprit critique, la véracité, l’exactitude, l’intégrité, l’équité, l’impartialité, pour les piliers de l’action journalistique ; tient l’accusation sans preuve, l’intention de nuire, l’altération des documents, la déformation des faits, le détournement d’images, le mensonge, la manipulation, la censure et l’autocensure, la non-vérification des faits, pour les plus graves dérives professionnelles », selon la Charte d’éthique professionnelle des journalistes français (1918-1938-2011).
  • Il doit « respecter la vérité, quelles qu’en puissent être les conséquences pour lui-même, et ce, en raison du droit que le public a de connaître », selon la Déclaration des droits et devoirs des journalistes (Munich, 1971, devoir no 1).
  • Il doit « respecter les faits et le droit que le public a de les connaître », selon la Charte d’éthique mondiale des journalistes (FIJ, 2019, article 1).
  • Il « considérera comme fautes professionnelles graves le plagiat, la distorsion des faits, la calomnie, la médisance, la diffamation, les accusations sans fondement », selon la Charte d’éthique mondiale des journalistes (FIJ, 2019, article 10).

A propos du respect de la vie privée :

  • ll « respecte la dignité des personnes et la présomption d’innocence », selon la Charte d’éthique des journalistes français (1918-1938-2011).
  • Il doit « s’obliger à respecter la vie privée des personnes », selon la Déclaration des droits et devoirs des journalistes (Munich, 1971, devoir no 5).
  • Il « respectera la vie privée des personnes » et « la dignité des personnes citées et/ou représentées » et « fera preuve d’une attention particulière à l’égard des personnes interrogées vulnérables », selon la Charte d’éthique mondiale des journalistes (FIJ, 2019, article no 8).

Réponse du média mis en cause

Le 3 août 2024, le CDJM a adressé à M. Jean-Christophe Collet, directeur de Rennes Info Autrement et auteur de l’article, un courrier l’informant de cette saisine et l’invitant à faire connaître ses observations, comme le prévoit le règlement du CDJM.

Le 2 septembre 2024, M. Collet a répondu au CDJM. Il y expose que « lors de la prise de photos, le journaliste que je suis n’a pas demandé d’autorisation dans la mesure où il s’agissait d’une manifestation publique sur la voie publique ». Par la suite, écrit-il, il a « tenu à apporter une légende à l’article et au carrousel de photos en précisant bien qu’[Audran Busvelle] était en charge de la sécurité de la marche ». Il ajoute que « nos informations [sur les événements eux-mêmes, ndlr] ont été vérifiées auprès de la police, de la préfecture (qui en l’occurrence nous a donné de nombreux communiqués tout au long de la manifestation) et par nos sources syndicales ».

Analyse du CDJM

➔ L’article mis en cause comprend une photo, un texte et un carrousel de photos. Sous le titre, une première image montre trois CRS immobiles à l’angle de deux rues où flotte du gaz lacrymogène. Le texte – une quinzaine de lignes, 1 491 signes – est le récit d’incidents provoqués par « des militants de l’ultragauche [qui] ont pris la tête du cortège [et] se sont bien vite désolidarisés du reste de la troupe ». Il rapporte « des actes de vandalisme », « de nombreux projectiles (principalement des bouteilles de verre) qui ont été lancés contre les hommes en tenue » et cite un communiqué de la préfecture qui fait le bilan de la journée.

Le troisième élément de l’article est un carrousel de douze photos. Sur l’une d’elles, on voit une des personnes participant à la Marche des fiertés devant un cordon de policiers auxquels elle semble s’adresser. Cette photo porte la mention « la personne photographiée ci-dessus était chargée de la sécurité de la marche ». Les onze autres photos représentent des scènes de tension : policiers, manifestants vêtus de noir cagoulés, jets de grenades lacrymogènes.

Sur le grief d’atteinte à la vie privée

➔ La requérante avance deux arguments à l’appui de ce grief. D’une part, la « photo [a été] prise sans [son] accord ». D’autre part, « en tant que personne LGBT, la mise en public de mon image est dangereuse pour ma vie ».

M. Jean-Christophe Collet, auteur de l’article et des photos, fait valoir dans son courrier au CDJM que « lors de la prise de photos, le journaliste que je suis n’a pas à demander d’autorisation dans la mesure où il s’agissait d’une manifestation publique sur la voie publique ».

➔ Les journalistes doivent mettre en balance le respect de la vie privée et le droit à l’information. Il est admis par la déontologie – et la jurisprudence de la Cour de cassation – qu’une personne photographiée ou filmée dans le cadre d’une manifestation publique ne peut s’opposer à sa diffusion si cette image est utilisée pour rapporter une actualité. Le manifestant qui défile dans la rue s’expose volontairement, il accepte d’être vu comme élément d’une foule pour faire passer son message.

Mme Audran Busvelle participait à une manifestation publique. Elle s’exposait publiquement en tant que personne LGBT. Elle avait en outre un rôle bien défini, chargée de la sécurité de la manifestation. Ces deux raisons justifient qu’elle soit photographiée et que la photo, qui montre les échanges entre les policiers et une des responsables de la manifestation, information d’intérêt général, soit publiée. Il n’y a pas d’atteinte à sa vie privée.

Sur le grief d’inexactitude

➔ Pour Mme Audran Busvelle, l’utilisation de son image dans un article titré « En marge de la Marche des fiertés : des tensions place de Bretagne » et parmi onze photos qui montrent les incidents en marge de la manifestation crée une inexactitude : « Le photographe/journaliste s’est permis d’utiliser cette photo pour démontrer la violence des casseurs alors que je n’en faisais aucunement partie […] Au moment de la photo il n’y avait aucune animosité de la part des CRS ou de la mienne, nous étions en pleine discussion cordiale. » 

M. Collet explique au CDJM qu’alerté par la requérante, il a, « dans un souci d’apaisement, tenu à apporter une légende à l’article et au carrousel de photos en précisant bien que [la requérante] était en charge de la sécurité de la marche (alors que sur la photo, [elle] ne présentait pas de brassard service d’ordre) ».

➔ Au cours de cette manifestation, il y a bien eu des dégradations imputées à « des militants de l’ultragauche », selon les termes employés dès le début de l’article de Rennes Infos Autrement. L’article précise, en citant un communiqué de la préfecture d’Ille-et-Vilaine, que « certains éléments grimés (60 sur les 8 000) ont commis des exactions le long du parcours du cortège ». En reprenant ces chiffres, l’article fait une distinction entre les participants à la Marche des fiertés et les quelques « casseurs ». Il relativise l’importance des dégradations et des auteurs de ces dégradations, jugées minimes au regard du nombre de manifestants.

À aucun moment, dans l’article ou la photo qui la montre devant un groupe de CRS dans une posture tout à fait pacifique, Mme Busvelle n’est associée aux violences et dégradations. La photo publiée montre au contraire quelqu’un qui ne ressemble en rien à un « casseur » – lequel dissimulerait son identité en masquant son visage. Il n’y a pas d’inexactitude, même s’il est regrettable que la précision apportée par la légende après protestation de Mme Busvelle – « la personne photographiée ci-dessus était chargée de la sécurité de la marche » – n’ait pas été insérée dès la mise en ligne de l’article.

➔ La requérante considère également inexacte « la partie [de l’article] où selon [le journaliste], la raison pour laquelle les CRS auraient tiré des lacrymogènes serait […] des tags effectués par des manifestants ». Elle affirme que « les CRS ont tiré ces lacrymogènes afin de disperser les casseurs qui commençaient à se regrouper pour les agresser ».

Le journaliste de Rennes Infos Autrement parle à deux reprises de tirs de grenades lacrymogènes. Au début de l’article, il écrit que « des militants de l’ultragauche ont pris la tête du cortège. Mais ils se sont bien vite désolidarisés du reste de la troupe. Arrivés place de la Bretagne, certains d’entre eux ont tagué une vitrine d’une agence immobilière, suscitant la réaction des forces de l’ordre avec des lacrymogènes ». Puis il rapporte que plus tard, « de nombreux projectiles (principalement des bouteilles de verre) ont été lancés contre les hommes en tenue. En réplique, les policiers ont noyé de gaz la place de Bretagne ». Dans la première évocation de l’usage de gaz lacrymogènes, M. Collet désigne clairement les militants de l’ultragauche comme les fauteurs de trouble, en les distinguant sans ambiguïté « du reste de la troupe ». Dans la seconde, il décrit la même situation que la requérante, la dispersion de personnes qui agressent les forces de l’ordre. Il n’y a pas d’inexactitude.

Enfin, Mme Busvelle affirme que contrairement à la dernière phrase de l’article (« Il n’y a pas eu de blessés, durant la journée »), « plusieurs blessés légers ont été recensés lors de la marche ». M. Collet explique au CDJM que ses « informations ont été vérifiées auprès de la police, de la préfecture (qui en l’occurrence nous a donné de nombreux communiqués tout au long de la manifestation) et par nos sources syndicales ». L’affirmation de la requérante n’est étayée par aucun élément concret. Le CDJM note que ni Ouest-France, ni le site de l’association Iskis LGBTI + de Rennes n’évoquent de blessés. Il n’y a pas d’inexactitude.

Conclusion

Le CDJM, réuni le 10 décembre 2024 en séance plénière, estime que les obligations déontologiques d’exactitude et de respect de la vie privée n’ont pas été enfreintes.

La saisine est déclarée non fondée.

Cet avis a été adopté par consensus.

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