Adopté en réunion plénière du 12 novembre 2024 (version PDF)
Description de la saisine
Le 11 juillet 2024, M. Julien Lachèze, agissant au nom de l’association Groupe national de surveillance des arbres (GNSA), en qualité de référent de l’antenne GNSA Vichy, a saisi le CDJM à propos d’un article publié le 25 mai 2024 par le quotidien régional La Montagne sur son site et titré « Parc des Sources à Vichy : après l’abattage d’arbres, quelles sont les nouvelles essences plantées ? »
M. Lachèze formule trois griefs : non-respect de l’exactitude et la véracité, absence d’offre de réplique, non-rectification d’une erreur. Il estime inexact d’écrire que le « recours auprès du tribunal de Clermont-Ferrand […] a été rapidement rejeté », trois recours sur le fond « restant à l’instruction ». Il considère également inexact le chiffre indiqué dans l’article de 311 arbres qui seront à terme plantés dans le parc des Sources, affirmant que seuls 230 le seraient. Il considère qu’avant la parution de l’article, les membres du GNSA auraient dû être « contacté·es par la rédaction de La Montagne Vichy, alors qu’une partie de l’article nous concerne directement ». Il écrit avoir « informé explicitement le quotidien » de ce qu’il considère être des inexactitudes et dit n’avoir reçu « aucune réponse ».
Règles déontologiques concernées
Les textes déontologiques auxquels le CDJM se réfère précisent les obligations du journaliste.
À propos du respect de l’exactitude et de la véracité :
- Il « tient l’esprit critique, la véracité, l’exactitude, l’intégrité, l’équité, l’impartialité, pour les piliers de l’action journalistique ; tient l’accusation sans preuve, l’intention de nuire, l’altération des documents, la déformation des faits, le détournement d’images, le mensonge, la manipulation, la censure et l’autocensure, la non-vérification des faits, pour les plus graves dérives professionnelles », selon la Charte d’éthique professionnelle des journalistes français (1918-1938-2011).
- Il doit « respecter la vérité, quelles qu’en puissent être les conséquences pour lui-même, et ce, en raison du droit que le public a de connaître », selon la Déclaration des droits et devoirs des journalistes (Munich, 1971, devoir no 1).
- Il doit « respecter les faits et le droit que le public a de les connaître », selon la Charte d’éthique mondiale des journalistes (FIJ, 2019, article 1).
- Il « ne rapportera que des faits dont [il] connaît l’origine, ne supprimera pas d’informations essentielles et ne falsifiera pas de documents. [Il] sera prudent dans l’utilisation des propos et documents publiés sur les médias sociaux », selon la Charte d’éthique mondiale des journalistes (FIJ, 2019, article 3).
À propos de l’offre de réplique :
- Il veille à ce que « la notion d’urgence ou d’immédiateté dans la diffusion de l’information ne [prévale] pas sur la vérification des faits, des sources et/ou l’offre de réplique aux personnes mises en cause », selon la Charte d’éthique mondiale des journalistes (FIJ, 2019, article 5).
- Il « publiera seulement les informations dont l’origine est connue ou les accompagnera, si c’est nécessaire, des réserves qui s’imposent ; il ne supprimera pas les informations essentielles et n’altérera pas les textes et les documents », selon la Charte des droits et devoirs des journalistes (Munich, 1971, devoir no 3).
À propos de la rectification des erreurs :
- Il « fait en sorte de rectifier rapidement toute information diffusée qui se révèlerait inexacte », selon la Charte d’éthique professionnelle des journalistes français (1918-1938-2011).
- Il « rectifie toute information publiée qui se révèle inexacte », selon la Déclaration des droits et devoirs des journalistes (Munich, 1971, devoir no 6).
- Il « s’efforcera par tous les moyens de rectifier de manière rapide, explicite, complète et visible toute erreur ou information publiée qui s’avère inexacte », selon la Charte d’éthique mondiale des journalistes (FIJ, 2019, article 6).
- Lire aussi la recommandation du CDJM « Rectification des erreurs : les bonnes pratiques ».
Réponse du média mis en cause
Le 3 août 2024, le CDJM a adressé à M. Thibaud Vuitton, directeur éditorial du groupe Centre France, éditeur de La Montagne, avec copies à Mme Chloé Goigoux, journaliste, auteure de l’article et à M. Matthieu Perrinaud, chef d’agence de La Montagne à Vichy ainsi qu’à M. Julien Bonnefoy, médiateur de La Montagne, un courrier les informant de cette saisine et les invitant à faire connaître leurs observations, comme le prévoit le règlement du CDJM, dans un délai de quinze jours.
À la date du 12 novembre 2024, aucune réponse n’est parvenue au CDJM.
Analyse du CDJM
➔ « À moins d’un mois du passage de la flamme olympique au cœur du parc des Sources » à Vichy (Allier), l’article publié le 25 mai 2024 dans l’édition de Vichy de La Montagne fait le point sur le réaménagement du parc des Sources de cette ville. La journaliste, Mme Chloé Goigoux, rappelle qu’en 2023, la « campagne d’abattage de spécimens malades ou mal situés » avait « fait grand bruit ». Elle précise que « 180 arbres ont été supprimés avec la promesse municipale d’en replanter 311 ».
Se référant aux entretiens que lui ont accordés l’architecte paysagiste en charge du chantier et le directeur des espaces verts de la ville de Vichy, la journaliste liste les essences qui vont être plantées, et explique ces choix. Elle décrit enfin les dispositions prises pour « rationaliser l’usage de l’eau » et créer un « grand climatiseur de la ville ».
Sur le grief d’inexactitude concernant les recours en justice
➔ L’article indique que « le Groupe national de surveillance des arbres s’était alors [en 2023, ndlr] vivement opposé à ces abattages, en allant jusqu’à déposer un recours juridique auprès du tribunal de Clermont-Ferrand, avec le soutien de France Nature Environnement. Recours qui a été rapidement rejeté. » Au nom du GNSA Vichy, M. Lachèze affirme qu’il aurait fallu écrire « les (et non pas “le”) recours juridiques » car, ajoute-t-il, « deux référés-suspensions ont été rejetés, mais il reste trois recours au fond, en cours d’instruction à cette date, devant le tribunal administratif de Clermont-Ferrand ».
➔ En écrivant qu’un recours référé est « rapidement rejeté », la journaliste donne à penser au lecteur qu’il était aisé, voire évident, de prendre la décision de rejeter le recours de l’association, alors que c’est précisément le propre des recours en référé d’appeler une décision en urgence, sans préjuger d’une décision définitive au fond.
Le tribunal administratif de Clermont-Ferrand a d’ailleurs confirmé au CDJM qu’il y a bien eu deux référés-suspensions rejetés (dont celui du 11 août 2023) et que trois recours au fond sont toujours en cours d’instruction. L’article suggère donc que les décisions de justice défavorables à l’association sont intervenues à titre définitif, ce qui est une présentation factuellement inexacte des recours engagés par l’association.
Sur le grief d’inexactitude concernant le nombre d’arbres replantés
L’article indique que « ce sont 180 arbres qui ont été supprimés avec la promesse municipale d’en replanter 311 ». Le requérant affirme qu’« il n’y aura pas 311 nouveaux arbres, loin de là ». Il renvoie vers la page Facebook du GNSA Vichy, sur laquelle on lit, dans « un tableau détaillé issu du travail d’un ingénieur paysagiste » que 230 arbres seront plantés « dans les limites du parc ». Le GNSA commente également ce tableau en écrivant que « nous pouvons ainsi affirmer que des “arbustes” ont été comptabilisés comme étant des “arbres” ».
L’auteure de l’article cite bien « la promesse municipale d’en replanter 311 ». Cette promesse est un fait. La rappeler n’est pas une inexactitude, d’autant plus que la journaliste n’affirme pas que cette promesse a été tenue ou est sur le point de l’être. La citation de l’architecte-paysagiste en charge du projet, « qu’une grande partie a déjà été replantée », n’est d’ailleurs pas incompatible avec le chiffre de 230 arbres avancé par l’association.
Quant au fait que seraient comptabilisés ensemble des arbres de haute taille et des arbustes, il s’agit d’une question dont il peut être légitime de débattre mais qui n’entraîne pas que l’usage générique du terme d’« arbres », ni que le nombre indiqué de plantations, soient entachés d’inexactitude dans l’article de La Montagne.
Sur le grief d’absence d’offre de réplique
➔ Le représentant du GNSA écrit qu’« avant parution / diffusion, nous n’avons pas été contacté·es par la rédaction de La Montagne Vichy, alors qu’une partie de l’article nous concerne directement ».
Le CDJM rappelle qu’il n’existe aucune norme journalistique obligeant un éditeur à donner la parole dans un article à tous les partisans et opposants sur un sujet de société particulier. L’objet de l’article publié le 25 mai 2024 par La Montagne est de faire le point sur les travaux de plantation d’arbres et de gestion des ressources en eau. Il n’est pas de revenir sur les débats concernant les abattages d’arbres ou le choix des essences. C’est un choix rédactionnel avec lequel on peut ne pas être d’accord mais qui relève de la liberté éditoriale.
En parcourant les quelques articles de La Montagne relatifs au sujet de la réhabilitation du parc des Sources, on constate que l’avis des opposants est évoqué, que le recours d’août 2023 du GNSA fait l’objet d’un article qui cite les arguments du GNSA et qu’un autre, portant sur une manifestation organisée par le GNSA en septembre 2023, cite M. Julien Lachèze.
Le GNSA est en outre cité dans l’introduction de l’article objet de la saisine, qui mentionne la contestation de la politique suivie par la municipalité de Vichy dans le dossier concerné qu’a exprimée cette association et qu’elle a portée en justice. Cette mention met en évidence l’engagement et l’opposition de l’association, sans que cela puisse constituer une mise en cause de celle-ci. Il n’y avait pas d’obligation déontologique d’interroger le GNSA pour cet article.
Sur le grief de non-rectification d’une erreur
➔ M. Julien Lachèze écrit que le GNSA « a informé explicitement le quotidien (courriel + sous la publication Facebook dédiée + en commentaire sous l’article en ligne) » des erreurs qu’il a relevées et que le journal « n’a pas agi ».
On trouve en effet en pied de l’article en cause le message suivant :
« GNSA Vichy Co a posté le 28 mai 2024 à 23h27 :
Sur les nouvelles essences, nous avons publié sur notre page Facebook les faits issus des données brutes du dossier. Il n’y aura donc pas 311 nouveaux arbres, loin de là. D’ailleurs, pour être totalement honnête, ce sont 119 arbres (et non 180) qui ont été abattus, 35 autres doivent l’être en septembre dans des rues connexes. 180, c’est le maximum autorisé par la préfète dans son arrêté, arrêté dont nous contestons la légalité. Sur les (et non pas le) recours juridiques : 2 référés-suspensions ont été rejetés. Mais il reste 3 recours au fond, en cours d’instruction à cette date. »
Le CDJM considère qu’un rectificatif portant sur l’aspect judiciaire du dossier aurait dû être fait, les éléments exposés sur ce point dans l’article étant effectivement inexacts (lire plus haut).
Conclusion
Le CDJM réuni le 12 novembre 2024 en séance plénière estime que l’obligation déontologique d’exactitude et de véracité a été enfreinte par La Montagne sur un seul des deux points soulevés par le requérant, de même que celle de rectifier une erreur sur ce point. Par contre, l’obligation déontologique d’offre de réplique n’a pas été enfreinte.
La saisine est déclarée partiellement fondée.
Cet avis a été adopté par consensus.