Avis sur la saisine n° 24-066

Adopté en réunion plénière du 12 novembre 2024 (version PDF)

Description de la saisine

Le 14 mars 2024, M. Étienne Joubert a saisi le CDJM à propos de l’émission « Les informés de Franceinfo » diffusée le 1er mars 2024 sur Franceinfo. Il estime que le journaliste M. Jean-François Achilli s’est trouvé en situation de conflit d’intérêts.

M. Achilli anime dans cette émission une séquence consacrée au duel alors largement médiatisé entre MM. Gabriel Attal, Premier ministre, et Jordan Bardella, tête de liste Rassemblement national (RN) aux élections européennes, alors qu’il a, selon le requérant, « collaboré avec le président du RN pour l’écriture d’une autobiographie ».

Règles déontologiques concernées

Les textes déontologiques auxquels le CDJM se réfère précisent les obligations du journaliste.

À propos des conflits d’intérêt :

  • Il « n’use pas de la liberté de la presse dans une intention intéressée » , selon la Charte d’éthique professionnelle des journalistes français (1918-1938-2011).
  • Il doit « s’interdire le plagiat, la calomnie, la diffamation, les accusations sans fondement ainsi que de recevoir un quelconque avantage en raison de la publication ou de la suppression d’une information », selon la Déclaration des droits et devoirs des journalistes (Munich, 1971, devoir no 8).
  • Il « doit « éviter – ou mettre fin à – toute situation pouvant le conduire à un conflit d’intérêts dans l’exercice de son métier », conscient que sa responsabilité « vis-à-vis du public prime sur toute autre responsabilité, notamment à l’égard de ses employeurs et des pouvoirs publics », selon la Charte d’éthique mondiale des journalistes (FIJ, 2019, article 13).

Réponse du média mis en cause

Le 17 avril 2024, le CDJM a adressé à M. Jean-Philippe Baille, directeur de l’information de Radio France et directeur de France Info, avec copie à M. Jean-François Achilli, journaliste, un courrier les informant de cette saisine et les invitant à faire connaître leurs observations, comme le prévoit le règlement du CDJM, dans un délai de quinze jours.

À la date du 12 novembre 2024, aucune réponse n’est parvenue au CDJM.

Analyse du CDJM

➔ Le CDJM rappelle qu’une « saisine doit porter sur une erreur ou un manquement supposé(e) d’ordre déontologique, relevé(e) dans un acte journalistique édité, publié ou diffusé en France ou à destination du public français » (cf. la page Saisir le CDJM) et qu’une « saisine ne peut porter ni sur l’ensemble de la production d’un média, ni sur la ligne éditoriale d’un média, ni sur les choix rédactionnels », selon l’article 1.2 de son règlement intérieur.

Il se prononce ici sur l’émission « Les informés de Franceinfo » du 1er mars 2024, objet de la saisine, pas sur des actes journalistiques postérieurs que lui a signalés par ailleurs le requérant.

➔ L’émission en cause est une discussion entre journalistes et politistes animée par M. Jean-François Achilli. Elle est découpée en plusieurs séquences consacrées chacune à une question d’actualité. Le 1er mars 2024, la séquence sur le « duel » entre M. Gabriel Attal et M. Jordan Bardella commence à 39 min 11 s du début de l’émission et dure 8 min 52 s. Pendant toute sa durée, un bandeau jaune indique en bas d’écran : « Européennes, Attal / Bardella le combat des chefs ? »

La saisine ne portant que sur M. Achilli, seules ses interventions sont scriptées intégralement dans le résumé de la séquence ci-dessous.

M. Achilli introduit la séquence à 39 min 11 s :

« Autres élections, les européennes : c’est parti ! Y a-t-il un match Attal / Bardella en train de s’installer dans le débat public ? Je vous propose d’écouter les mots du Premier ministre qui était en déplacement dans les Vosges aujourd’hui pour parler de l’accès à l’emploi, et qui a eu une pensée évidemment pour le Rassemblement national. »

Est diffusé alors un extrait d’un discours de M. Attal qui dit entre autres « […] certains font même de cette résignation une arme électorale, ils ne proposent pas grand chose, ils changent d’avis sur tout. Ils se tiennent les plus éloignés possible des solutions. Pour eux, améliorer le quotidien, ce serait casser leur fonds de commerce ».

M. Achilli reprend la parole à 40 min 17 s et s’adresse à une rédactrice en chef de Marianne présente en plateau : « Marie-Estelle Pech, il ne se passe pas un jour, une déclaration, sans que le Premier ministre et d’autres ministres d’ailleurs n’évoquent le Rassemblement national, Jordan Bardella. Est-ce qu’il y a une forme d’obsession RN ? »

Mme Marie-Estelle Pech explique qu’il y a une obsession médiatique pour opposer l’un à l’autre « parce que ce sont deux figures médiatiques jeunes qui ont émergé au même moment », puis compare les démarche de MM. Attal et Bardella, et évoque les relations de Mme Marine Le Pen et de M. Bardella.

M. Achilli dit alors, à 41 min 46 s : « Il y a un partage des rôles qui est déjà bien établi, histoire de faire taire aussi les rumeurs de dissension possible entre ces deux personnalités-là… » Mme Pech poursuit sur le poids de la famille Le Pen au Rassemblement national, puis M. Achilli lance un extrait d’un discours de M. Bardella en disant, à 42 min 7 s :

« D’une personnalité à l’autre, je vous fais écouter un extrait d’une conférence de presse de Jordan Bardella. C’était hier. “Les 100 jours pour gagner”, nous explique la tête de liste du Rassemblement national. » Suit une vidéo de 36 s. d’une conférence de presse de M. Bardella où celui-ci explique ce que serait son « Alliance européenne des nations ».

Après cette vidéo, M. Achilli relance la discussion, en disant, à 42 min 53 s, à une autre de ses invitées : « Alors “Gabriel Attal – Jordan Bardella”, Véronique Reille Soult, est-ce que le match existe dans la tête des Français ou c’est une invention de ce que nous sommes, nous les médias ? » Mme Véronique Reille Soult répond en développant cette dernière idée, et, à un moment, dit que les deux hommes essaient de faire plus vieux ; à 43 min 26 s, M. Achilli dit, en reprenant cette formule de Mme Reille Soult : « Essayer de faire plus vieux ! Je pensais que la mode était au jeunisme ? »

Puis, à 44 min 4 s, quand Mme Reille Soult évoque la prochaine présidentielle et le fait qu’à aucun moment les Français ne pensent que l’un des deux puisse être le prochain Président, M. Achilli dit : « L’idée d’un duel Attal – Badella en 2027 ? C’est dans trois ans. C’est loin quand même. Ils seront plus âgés. »

La dernière partie de la séquence est consacrée à la question de savoir qui va incarner la majorité pendant la campagne des européennes et aux handicaps de la candidate retenue comme tête de liste, Mme Valérie Hayer. M. Achilli conclut à 48 min 4 s en lançant le rappel des titres : « Allez 20 h et 51 mn sur Franceinfo. Dans un instant, nous évoquerons un aspect particulier de cette campagne des européennes » – il s’agit d’une polémique sur des affiches de La France insoumise.

Sur le grief de conflit d’intérêts

➔ M. Joubert fonde le grief de conflit d’intérêts sur l’affirmation que « selon Le Monde, le journaliste politique Achilli a collaboré avec le président du RN pour l’écriture d’une autobiographie », alors que M. Bardella est « sujet de certains débats animés par M. Achilli ».

Il souligne que M. Achilli « ne l’a pas dit publiquement » et précise que dans l’émission le journaliste « intervient pour signifier qu’il n’y a aucune dissension entre Le Pen et Bardella ». M. Joubert se réfère dans sa saisine, adressée le 14 mars 2024 au CDJM à propos d’une émission diffusée le 1er mars 2024, à l’article du Monde titré « L’étrange genèse du livre de Jordan Bardella » et paru le 13 mars 2024.

➔ Le rôle du CDJM n’est pas d’établir si M. Achilli a ou non travaillé sur une autobiographie de M. Bardella, mais s’il est en situation de conflit d’intérêts dans l’acte journalistique en cause. En l’occurrence, le sujet de la discussion dans la séquence en cause est la compétition Attal – Bardella. C’est un sujet d’actualité depuis plusieurs semaines. Il avait par exemple été dit, en janvier 2024, que le président de la République, M. Emmanuel Macron, avait choisi M. Attal comme Premier ministre pour contrer un présumé « effet Bardella ». Les médias opposent depuis en permanence les deux hommes. Cette opposition est illustrée dans l’émission par des extraits de discours d’une longueur quasi égale – 38 s pour M. Attal, 34 s pour M. Bardella. Dans ce contexte, le débat organisé le 1er mars 2024 par M. Achilli sur cette opposition est un choix éditorial compréhensible.

➔ On ne peut pas considérer que les interventions de M. Achilli dans l’émission « Les informés de franceinfo » du 1er mars 2024 sont des prises de position. Dire en lancement de l’extrait du discours de M. Attal que celui-ci « a eu évidemment une pensée pour le Rassemblement national » est exposer un fait. Poser à des analystes politiques la question « est-ce qu’il y a une forme d’obsession RN ? » de la part de M. Attal et du gouvernement n’est pas promouvoir le Rassemblement national ou M. Bardella. Rappeler le partage des rôles au sein du Rassemblement national est un éclairage des propos tenus par les analystes présentes. Le faire en ajoutant « histoire de faire taire aussi les rumeurs de dissension possible entre ces deux personnalités là… » n’est pas, comme l’écrit le requérant, « signifier qu’il n’y a aucune dissension entre Le Pen et Bardella », mais qu’il y a des rumeurs en ce sens que cherchent à contrer les dirigeants du RN.

➔ Sur la relation entre M. Achilli et M. Bardella, le 13 mars 2024, l’article du Monde, que le requérant prend comme preuve de son grief, indique que M. Achilli a été « démarché » par M. Bardella « avant l’été [2023], pour un ouvrage commun » mais que M. Achilli « refuse ». Les auteurs de l’article poursuivent : « Selon les informations du Monde, le journaliste a néanmoins travaillé dans l’ombre, accouchant Bardella de ses souvenirs, permettant ainsi à un début de texte de voir le jour. »

Le CDJM note que le 15 mars 2024 (après la saisine de M. Joubert), M. Achilli confirme dans un message sur X avoir échangé « à sa demande » avec M. Bardella « de ce que pourrait être son expression pour un livre d’entretiens », et indique : « J’ai refusé le projet. » Plus tard, le 25 mars 2024, Le Monde indiquera que M. Achilli, « entendu par les directeurs de Franceinfo, le 14 mars […] nie toujours avoir travaillé le texte, mais reconnaît, ce 14 mars, l’avoir lu, fait des “ retours” et émis des “avis” ».

➔ Le CDJM souligne que l’émission en cause n’est ni un interview ni un portrait de M. Bardella signé par M. Achilli, mais un échange entre analystes et éditorialistes auxquels M. Achilli pose des questions neutres. Quelle que soit alors la relation entre les deux hommes, le CDJM considère que M. Achilli n’avait pas obligation, dans ce cadre, à préciser aux auditeurs, qu’il le connaissait – comme de nombreux journalistes politiques en vue – ni qu’il avait des sympathies ou des antipathies pour M. Bardella – cela le regarde, tant qu’il n’exprime pas ces opinions dans l’émission.

Conclusion

Le CDJM, réuni le 12 novembre 2024 en séance plénière, estime que l’obligation déontologique d’éviter – ou mettre fin à – toute situation pouvant le conduire à un conflit d’intérêt n’a pas été enfreinte.

La saisine est déclarée non fondée.

Cet avis a été adopté par consensus.

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