Avis sur la saisine n° 24-097

Adopté en réunion plénière du 8 octobre 2024 (version PDF)

Description de la saisine

Le 26 mai 2024, M. X a saisi le CDJM à propos du titre de une de l’édition du 26 mai 2024 du Journal du dimanche, ainsi que du contenu de l’article « Fin de vie : l’Assemblée nationale s’apprête à débattre » publié en pages intérieures et également disponible sur le site de l’hebdomadaire.

M. X estime dans sa saisine que « le “collectif” contre la loi sur la fin de vie ne réunit pas du tout “800 000 soignants” » comme écrit dans la titre de couverture. Il considère aussi qu’on ne peut pas parler, comme le fait M. Michel Houellebecq dans l’article et sans que cela soit corrigé, d’une « pétition énorme, réunissant 800 000 soignants ». Il saisit donc le CDJM pour atteinte à l’obligation d’exactitude et de véracité et non-rectification d’une erreur.

Recevabilité

Dans sa saisine, le requérant a indiqué qu’« étant donné les méthodes violentes d’extrême droite, et la tension qui monte sur le sujet de l’euthanasie, je souhaiterais être anonymisé ». En application de l’article 7.4 du règlement intérieur du CDJM, cette demande a été acceptée.

Règles déontologiques concernées

Les textes déontologiques auxquels le CDJM se réfère précisent les obligations du journaliste.

À propos du respect de l’exactitude et de la véracité :

  • Il « tient l’esprit critique, la véracité, l’exactitude, l’intégrité, l’équité, l’impartialité, pour les piliers de l’action journalistique ; tient l’accusation sans preuve, l’intention de nuire, l’altération des documents, la déformation des faits, le détournement d’images, le mensonge, la manipulation, la censure et l’autocensure, la non-vérification des faits, pour les plus graves dérives professionnelles », selon la Charte d’éthique professionnelle des journalistes français (1918-1938-2011).
  • Il doit « respecter la vérité, quelles qu’en puissent être les conséquences pour lui-même, et ce, en raison du droit que le public a de connaître », selon la Déclaration des droits et devoirs des journalistes (Munich, 1971, devoir no 1).
  • Il doit « respecter les faits et le droit que le public a de les connaître », selon la Charte d’éthique mondiale des journalistes (FIJ, 2019, article 1).
  • Il défend « en tout temps, les principes de liberté dans la collecte et la publication honnêtes des informations, ainsi que le droit à un commentaire et à une critique équitables » et veille « à distinguer clairement l’information du commentaire et de la critique », selon la Charte d’éthique mondiale des journalistes (FIJ, 2019, article 2).
  • Il « considérera comme fautes professionnelles graves le plagiat, la distorsion des faits, la calomnie, la médisance, la diffamation, les accusations sans fondement », selon la Charte d’éthique mondiale des journalistes (FIJ, 2019, article 10).

Réponse du média mis en cause

Le 5 juillet 2024, le CDJM a adressé à M. Geoffroy Lejeune, directeur de la rédaction du Journal du dimanche un courrier l’informant de cette saisine et l’invitant à faire connaître ses observations, comme le prévoit le règlement du CDJM, dans un délai de quinze jours.

À la date du 8 octobre 2024, aucune réponse n’est parvenue au CDJM.

Analyse du CDJM

➔ L’article en cause est le sujet de la une du Journal du dimanche. Sur fond d’une photo réunissant l’écrivain M. Michel Houellebecq et la présidente de la Société française d’accompagnement et de soins palliatifs (Sfap), Mme Claire Fourcade, la titraille est composée d’un surtitre en jaune, « Euthanasie », du titre en gros caractères blancs « Houellebecq-Fourcade, le dialogue inédit » et en bas à gauche de la page, sous la mention « Exclusif », en jaune, de l’indication : « Le JDD a réuni l’écrivain français le plus lu au monde et la porte-parole du collectif réunissant 800 000 soignants à la veille de l’examen du projet de loi sur la fin de vie. »

Page 4 du journal, sous le titre « Michel Houellebecq-Claire Fourcade / “L’euthanasie est une solution du passé” », commence une double interview entre M. Houellebecq et Mme Fourcade qui court sur trois pages, un dialogue recueilli et mis en forme par Mme Elisabeth Caillemer et M. Geoffroy Lejeune.

À la page 5 du journal sont reproduits notamment ces propos de M. Michel Houellebecq :

« C’est très fort que non seulement les médecins, mais l’ensemble des soignants s’opposent à ce projet de loi. À mon avis, votre pétition énorme, réunissant 800 000 soignants, c’est ce qui a été fait de plus fort depuis le début de ce débat. C’est la première chose qui m’ait donné un espoir que les partisans de la vie puissent gagner. »

Sur le grief d’inexactitude concernant la une

➔ Le 16 février 2023, treize organisations de soignants ont rendu public un texte collectif intitulé « Donner la mort peut-il être considéré comme un soin ? Réflexions éthiques interprofessionnelles sur les perspectives de légalisation de l’assistance au suicide et de l’euthanasie et leurs impacts possibles sur les pratiques soignantes ».

Le requérant affirme que « le “collectif” contre la loi sur la fin de vie ne réunit pas du tout “800 000 soignants” » comme on le lit en une du Journal du dimanche, et dénonce un « bidonnage » et une « manipulation ».

Le chiffre de 800 000 correspondrait au total des adhérents revendiqués par les différentes organisations constituant le collectif. Il ne peut constituer qu’une approximation. Le CDJM n’a aucun moyen de contester des chiffres que seul l’accès aux fichiers d’adhésion des associations concernées permettrait d’établir avec certitude, et donc de dire combien de personnes elles représentent ensemble. La requête en inexactitude apparaît, sur ce point, comme non fondée.

Sur le grief de non-rectification d’une erreur concernant du contenu de l’entretien

➔ M. Houellebecq parle d’une « pétition énorme, réunissant 800 0000 soignants ». Le requérant conteste qu’il s’agisse d’une pétition, indiquant qu’il existe bien « des pétitions [contre le projet de loi sur la fin de vie, ndlr] mais tout le monde peut les signer ». Il cite par exemple une pétition diffusée sur le site Change.org, qui n’avait recueilli que 3 104 signatures à la date du 8 octobre 2024, ou une autre sur le site de la Sfap, « un manifeste à 20 000 signatures ».

Le terme de pétition est effectivement inapproprié concernant l’analyse publiée le 13 février 2023 par treize organisations sous le titre « Donner la mort peut-il être considéré comme un soin ? » Ce document précise que « l’ambition des organisations signataires n’est pas de se prononcer in abstracto sur l’opportunité ou non de légaliser une forme de mort médicalement administrée. Elle est d’étudier les conséquences qu’aurait une telle légalisation sur les pratiques soignantes du quotidien afin d’en informer le législateur et l’opinion publique. » Ces organisations signataires souscrivent ainsi à une analyse très réservée à l’égard du projet de loi mis en discussion au Parlement. Cette réflexion collective de treize organisations ne peut cependant être considérée comme une pétition, a fortiori comme une pétition ayant reçu les signatures individuelles de l’ensemble des membres revendiqués par ces organisations.

L’expression « pétition énorme, réunissant 800 0000 soignants », employée par M  Houellebecq, est inexacte. Le grief de d’inexactitude est fondé sur ce point. Si un interviewé peut se tromper, la responsabilité des journalistes est de le lui faire remarquer lors de l’entretien pour qu’éventuellement il rectifie son propos, ou de préciser, lors de la mise en forme de l’entretien, qu’il ne s’agit pas d’une pétition. Le grief de non-rectification d’une erreur est fondé.

Conclusion

Le CDJM réuni le 8 novembre 2024 en séance plénière estime que l’obligation déontologique d’exactitude n’a pas été respectée dans un des points soulevés par le requérant, ni celle de rectifier une erreur.

La saisine est déclarée partiellement fondée.

Cet avis a été adopté à l’issue d’un vote par 15 voix contre 8.

Opinion minoritaire

En application de l’article 6 alinéa 4 du règlement intérieur du CDJM, huit conseillers ayant voté contre la décision du CDJM, estimant que la saisine devait être déclarée fondée pour l’ensemble des griefs soulevés, ont souhaité que cette opinion minoritaire soit insérée :

« Nous estimons que le chiffre de “800 000 soignants” indiqué en une du Journal du dimanche le 26 mai 2024, pour fonder la légitimité du combat des personnes hostiles à l’euthanasie, n’est pas sourcé et est manifestement erroné, si l’on considère à la fois les chiffres de l’Insee, qui dénombre 1,3 million de professionnels de la santé en France en 2023, et l’audience habituelle des pétitions sur ce sujet, qui ont atteint très rarement 20 000 signatures individuelles d’origines socioprofessionnelles diverses (pas seulement de soignants). »

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