Adopté en réunion plénière du 10 septembre 2024 (version PDF)
Description de la saisine
Le 6 février 2024, le CDJM a été saisi par Mme Éva Morel, agissant en tant que coprésidente de l’association Quota Climat, du contenu de l’article de M. Pascal Praud publié dans l’édition du 4 février 2024 par Le Journal du dimanche sous le titre « Écologisme, date de péremption 2024 ».
Mme Morel estime que « deux affirmations (au moins) sont factuellement inexactes au sein de cet édito : 1) “La France n’est pas responsable du réchauffement climatique” qui est un “phénomène dont elle n’est pour rien” 2) “Je rappelle que la couche d’ozone était au centre des inquiétudes dans les années 1990” puis “Par je ne sais quel miracle, les trous n’existent plus” ».
Ces griefs et arguments sont repris, dans les mêmes termes ou en substance, par quatre autres requérants, cet article faisant également l’objet des saisines 24-033 de M. Tanneguy Houïtte de la Chesnais, 24-037 de M. Frédéric Brindeau, 24-039 de M. Pierre-Henry Dodart et 24-040 de M. Anthony Goiset.
Recevabilité
Conformément aux articles 1.2 et 2.5 du règlement intérieur du CDJM, trois autres saisines concernant cet article ont été déclarées irrecevables, leurs auteurs se contentant de porter une appréciation générale sur l’acte journalistique visé, sans étayer concrètement leurs accusations. Ils ont été informés par courriel de cette décision d’irrecevabilité.
Règles déontologiques concernées
Les textes déontologiques auxquels le CDJM se réfère précisent les obligations du journaliste.
À propos du respect de l’exactitude et de la véracité :
- Il « tient l’esprit critique, la véracité, l’exactitude, l’intégrité, l’équité, l’impartialité, pour les piliers de l’action journalistique ; tient l’accusation sans preuve, l’intention de nuire, l’altération des documents, la déformation des faits, le détournement d’images, le mensonge, la manipulation, la censure et l’autocensure, la non-vérification des faits, pour les plus graves dérives professionnelles », selon la Charte d’éthique professionnelle des journalistes français (1918-1938-2011).
- Il doit « respecter la vérité, quelles qu’en puissent être les conséquences pour lui-même, et ce, en raison du droit que le public a de connaître », selon la Déclaration des droits et devoirs des journalistes (Munich, 1971, devoir no 1).
- Il doit « respecter les faits et le droit que le public a de les connaître », selon la Charte d’éthique mondiale des journalistes (FIJ, 2019, article 1)
Réponse du média mis en cause
Le 9 février 2024 le CDJM a adressé à M. Geoffroy Lejeune, directeur de la rédaction du Journal du dimanche avec copie à M. Pascal Praud, journaliste, un courrier les informant de cette saisine et les invitant à faire connaître leurs observations, comme le prévoit le règlement du CDJM, dans un délai de quinze jours.
À la date du 10 septembre 2024, aucune réponse n’est parvenue au CDJM.
Analyse du CDJM
➔ L’article « Écologisme, date de péremption 2024 » est présenté par Le Journal du dimanche comme « La chronique de Pascal Praud ». Chaque semaine, celui-ci livre ses réflexions sur un sujet d’actualité. Le 4 février 2024, au cœur de la crise agricole, M. Praud livre une analyse que le Journal du dimanche résume ainsi : « La France n’a pas vocation à sauver le climat. En revanche, la France a vocation à sauver son agriculture. » « L’écologie est une religion », écrit M. Praud dans un texte qui est une charge contre « les croyants des églises vertes », dénonçant les « prophètes de malheur » et les « scénarios catastrophes », soulignant qu’« on n’a jamais vécu aussi longtemps qu’aujourd’hui », que « le niveau de vie a augmenté partout dans le monde » et affirmant : « L’homme, sans doute, abîme la nature quand il industrialise. Il se trouve que je privilégie l’Homme à la Nature. »
➔ Le CDJM rappelle qu’il n’y a pas, dans le journalisme, de moment hors déontologie. Si le journalisme d’opinion est l’expression de pensées, d’idées, de croyances ou de jugements de valeur, ces convictions ou ces positions ne sauraient s’exprimer qu’en exposant sans les déformer les faits les plus pertinents sur lesquels elles se fondent.
Sur le grief d’inexactitude concernant la responsabilité de la France dans le réchauffement climatique
➔ Les requérants dénoncent comme inexacte cette affirmation de M. Praud dans Le Journal du dimanche : « La France n’est pas responsable du réchauffement climatique. La France n’a pas à sacrifier son économie, ses agriculteurs ou son peuple au regard d’un phénomène dont elle n’est pour rien. »
Mme Morel, au nom de l’association Quota Climat, objecte que « la France est pour partie responsable du réchauffement climatique, comme chaque pays du monde, puisque par essence le réchauffement climatique est lié à l’augmentation de la concentration en CO2 dans l’atmosphère – stock de CO2 que chacune de nos activités émettrices contribuent à augmenter chaque jour. La responsabilité de la France est par ailleurs plus importante que celle d’autres pays : en prenant en compte ses émissions historiques, c’est le 11e pays le plus émetteur. Il est donc faux de dire qu’elle n’y est pour rien. »
➔ Le CDJM note que quel que soit le mode de calcul pour évaluer l’empreinte carbone, c’est à dire la responsabilité d’un pays dans le changement climatique, celle de la France est supérieure à la moyenne mondiale par habitant : selon une estimation d’Eurostat, l’empreinte CO2 de la France était inférieure en 2019 à la moyenne européenne (8,3 tonnes de CO2/habitant) ainsi qu’à celle de certains grands pays développés (États-Unis et Japon notamment), mais supérieure à la moyenne mondiale (4,8 tonnes de CO2/habitant).
D’autres études indiquent que la France se classe au 12e rang parmi les 20 pays les plus émetteurs de gaz à effet de serre depuis le XVIIIe siècle – voir le graphique du site Our World in Data, qui reprend les données du Global Carbon Budget, ou l’analyse du site CarbonBrief. Ces études ont été reprises par la presse grand public, par exemple le site Futura-Sciences ou Le Monde. Il note également que le tribunal administratif de Paris le 3 février 2021, avait conclu, comme rapporté dans une analyse du Conseil d’État du 7 mai 2021, que « l’État n’a pas respecté ses engagements en matière de réduction des émissions de gaz à effet de serre entre 2015 et 2018 et qu’il est donc partiellement responsable du réchauffement climatique (on parle de “préjudice écologique”) ».
Le CDJM considère que les affirmations « la France n’est pas responsable du réchauffement climatique » et c’est « un phénomène dont elle n’est pour rien », sur lesquelles repose en partie l’analyse de M. Praud, sont factuellement inexactes.
Sur le grief d’inexactitude concernant la couche d’ozone
➔ Les requérants considèrent erronée l’affirmation de M. Praud concernant la résorption des trous de la couche d’ozone. Le journaliste écrit : « Je rappelle que la couche d’ozone était au centre des inquiétudes dans les années 1990. Cette barrière protectrice naturelle anti-UV était percée de trous au-dessus des régions polaires depuis les années 1980 à cause des activités humaines, disait-on. Par je ne sais quel miracle, les trous n’existent plus. Un peu d’humilité ne nuit pas. Certains phénomènes nous échappent. »
Mme Éva Morel affirme dans sa saisine que « la résorption des trous de la couche d’ozone n’est pas liée à un miracle mais à une action internationale coordonnée, à savoir l’application du protocole de Montréal, ayant fait suite à la convention de Vienne de 1985 pour adresser [régler, ndlr] le sujet ». Comme les autres requérants, elle ajoute que « le nier participe à invisibiliser l’action environnementale internationale et relève de la désinformation ».
➔ Le CDJM constate que plusieurs études montrent en effet que la couche d’ozone est en train de se régénérer plus rapidement que prévu. Un rapport des Nations Unies de janvier 2023 indique que cela est à porter au crédit d’actions concertées au niveau international pour la protéger, et notamment l’interdiction des gaz responsables de sa destruction. De nombreux médias, par exemple Le Figaro et Le Journal du dimanche, se sont fait l’écho de cette étude.
Il s’agit d’une résorption progressive des trous, pas de leur disparition totale. L’ONU écrit en effet : « Si les politiques actuelles restent en place, la couche d’ozone devrait retrouver les valeurs de 1980 (avant l’apparition du trou dans la couche d’ozone) d’ici environ 2066 au-dessus de l’Antarctique, 2045 au-dessus de l’Arctique et 2040 dans le reste du monde. » Par ailleurs, fin 2023, une étude publiée dans Nature Communications (une revue à comité de lecture) indiquait que la couche d’ozone pourrait être en difficulté, notamment du fait des changements climatiques. Cette étude a été reprise par Le Monde ou encore Les Échos.
Le CDJM considère donc que dans la phrase de M. Praud « par je ne sais quel miracle, les trous n’existent plus », l’expression « par je ne sais quel miracle » appliquée à l’inversement de l’évolution de la couche d’ozone peut relever d’une ironie propre à l’exercice de la chronique éditorialisée et être considérée comme un choix éditorial. Il estime par contre que l’affirmation sèche « les trous n’existent plus » est une inexactitude factuelle.
Conclusion
Le CDJM réuni le 10 septembre 2024 en séance plénière estime que l’obligation déontologique d’exactitude et de véracité n’a pas été respectée par Le Journal du dimanche.
La saisine est déclarée fondée.
Cet avis a été adopté par consensus.