Avis sur la saisine n° 24-059

Adopté en réunion plénière 30 juillet 2024 (version PDF)

Description de la saisine

Le 6 mars 2024, le CDJM a été saisi par M. Gaël Roblin à propos d’un article du Point publié sur son site le 21 février 2024 et titré « La face sombre de l’affaire des médecins cubains de Guingamp ».

Le requérant formule les griefs de non-respect de l’exactitude et de la véracité, d’absence d’offre de réplique et de non-rectification d’une erreur. Il affirme que « Le Point a publié une prétendue enquête [le] citant à de nombreuses reprises en tant qu’élu sans [le] contacter ». M. Gaël Roblin précise que « le journaliste fait état dans son article de faits pour lesquels [il a] été acquitté et d’autres ne figurant plus sur [son] casier judiciaire », et indique que ses démarches auprès du journaliste M. Antoine Copra et la rédactrice en chef Mme Géraldine Woessner pour leur « signifier que [son] casier était vierge de mention » sont restées sans réponse.

Règles déontologiques concernées

Les textes déontologiques auxquels le CDJM se réfère précisent les obligations du journaliste.

À propos du respect de l’exactitude et de la véracité :

  • Il « tient l’esprit critique, la véracité, l’exactitude, l’intégrité, l’équité, l’impartialité, pour les piliers de l’action journalistique ; tient l’accusation sans preuve, l’intention de nuire, l’altération des documents, la déformation des faits, le détournement d’images, le mensonge, la manipulation, la censure et l’autocensure, la non-vérification des faits, pour les plus graves dérives professionnelles », selon la Charte d’éthique professionnelle des journalistes français (1918-1938-2011).
  • Il doit « respecter la vérité, quelles qu’en puissent être les conséquences pour lui-même, et ce, en raison du droit que le public a de connaître », selon la Déclaration des droits et devoirs des journalistes (Munich, 1971, devoir no 1).
  • Il doit « respecter les faits et le droit que le public a de les connaître », selon la Charte d’éthique mondiale des journalistes (FIJ, 2019, article 1).
  • Il doit « publier seulement les informations dont l’origine est connue ou les accompagner, si c’est nécessaire, des réserves qui s’imposent », selon la Déclaration des droits et devoirs des journalistes (Munich, 1971, devoir no 3).
  • Il « considérera comme fautes professionnelles graves le plagiat, la distorsion des faits, la calomnie, la médisance, la diffamation, les accusations sans fondement », selon la Charte d’éthique mondiale des journalistes (FIJ, 2019, article 10).
  • Il veille à ce que « la notion d’urgence ou d’immédiateté dans la diffusion de l’information ne [prévale] pas sur la vérification des faits, des sources et/ou l’offre de réplique aux personnes mises en cause », selon la Charte d’éthique mondiale des journalistes (FIJ, 2019, article 5).
  • Il « fait en sorte de rectifier rapidement toute information diffusée qui se révèlerait inexacte », selon la Charte d’éthique professionnelle des journalistes français (1918-1938-2011).
  • Il « rectifie toute information publiée qui se révèle inexacte », selon la Déclaration des droits et devoirs des journalistes (Munich, 1971, devoir no 6).
  • Il « s’efforcera par tous les moyens de rectifier de manière rapide, explicite, complète et visible toute erreur ou information publiée qui s’avère inexacte », selon la Charte d’éthique mondiale des journalistes (FIJ, 2019, article 6).

À propos de l’offre de réplique :

À propos de la rectification des erreurs :

Réponse du média mis en cause

Le 14 mars, le CDJM a adressé à Mme Valérie Toronian, directrice de la rédaction du Point, avec copie à M. Antoine Copra, journaliste, un courrier les informant de cette saisine et les invitant à faire connaître leurs observations, comme le prévoit le règlement du CDJM, dans un délai de quinze jours.

À la date du 30 juillet 2024, aucune réponse n’est parvenue au CDJM.

Analyse du CDJM

➔ L’article du Point concerne les difficultés de la maternité de la commune de Guingamp (Côtes-d’Armor) et l’option envisagée, pour répondre aux problématiques de recrutement, de faire appel à des médecins cubains. L’article décrit la situation de la maternité de Guingamp et l’intervention du conseiller municipal, M. Gaël Roblin, qui a saisi le CDJM.

L’idée de faire appel à des médecins cubains, autant que l’élu local qui la défend, sont vivement critiquées par l’hebdomadaire qui, dans le chapô (texte introductif) de l’article, affirme : « L’initiative fait la une des médias, mais cache une triste réalité : des hommes et des femmes réduits en esclavage, instrumentalisés par le régime et par un militant indépendantiste breton condamné en 2004. » L’article comprend un long portrait de M. Roblin, une « figure de l’extrême gauche indépendantiste locale » condamné dans les années 2000 pour « association de malfaiteurs », et une analyse qui démonte « l’image trop parfaite de “médecin du monde” que le régime cubain tente de forger ».

Sur le grief d’inexactitude

➔ M. Roblin explique que « si l’auteur de l’article avait pris soin de contacter des protagonistes des échanges ayant eu lieu à Guingamp le 16 février, [celui-ci] aurait pu apprendre que ces échanges ont porté, notamment en présence du directeur de l’hôpital, sur le déploiement d’urgentistes, de généralistes dans les communes de l’agglomération qui est sous-dotée, ainsi que d’ophtalmologues et de cardiologues, d’anesthésistes, de gynécologues et de sages-femmes », et pas seulement sur l’avenir de la maternité.

Il souligne ensuite que « le déploiement des médecins et soignants de Cuba a déjà été autorisé via un aménagement du Code de Santé publique qui par dérogation à l’article L. 4111-1 et jusqu’au 31 décembre 2025, permet aux directeurs généraux des Agences régionales de santé de la Guadeloupe, de la Guyane et de la Martinique ainsi que le représentant de l’État à Saint-Pierre-et-Miquelon à autoriser un médecin, un chirurgien-dentiste ou une sage-femme, ressortissant d’un pays tiers à exercer dans les territoires cités ».

Le requérant ajoute qu’« aucune plainte pour esclavage n’a été déposée suite à l’utilisation de cette possibilité légale sur une partie du territoire de la République française » – ce qu’il aurait été en mesure, dit-il, d’expliquer s’il avait été interrogé.

Enfin, M. Roblin indique que le journaliste du Point « fait état dans son article de faits pour lesquels [il a] été acquitté et d’autres ne figurant plus sur [son casier judiciaire] » et « en a fait également état dans un thread sur Twitter repris par Géraldine Woessner, la rédactrice en chef ». Il précise avoir contacté, en vain, Mme Woessner pour lui signifier que son casier était « vierge de mention ».

➔ Le CDJM observe que l’article juxtapose des approches multiples – problèmes de la densité médicale et de l’équipement hospitalier ; profil politique et pénal du conseiller municipal porteur du projet ; conditions juridiques et économiques des médecins cubains expatriés – sans vraiment expliciter le lien qui unit ou pas ces différentes dimensions.

Le CDJM considère cependant que cette approche relève du choix d’un angle journalistique du journaliste et ne constitue pas une inexactitude.

➔ Le CDJM observe que, de son côté, le requérant n’apporte pas d’éléments précis permettant d’établir que l’article comporte des inexactitudes caractérisées.

  • Sur sa situation pénale, le fait de ne pas mentionner que le casier judiciaire est vierge à ce jour ne rend pas inexacte l’évocation d’incriminations ou condamnations antérieures dont la réalité ne semble pas être contestée. Le CDJM souligne que le terme « casier judiciaire » n’est pas mentionné dans l’article.
  • La limitation du champ de l’article à la maternité sans l’étendre aux autres spécialités médicales concernées dans la région ne constitue pas une suppression d’information essentielle conduisant à une inexactitude.
  • Le requérant évoque une erreur de date, tenant au fait que la proposition de recours à des médecins cubains aurait été faite en avril 2023 et non en septembre 2023. Outre qu’il ne s’agirait pas là d’une erreur de nature à affecter l’analyse de la situation et à fausser le jugement du lecteur sur le recrutement envisagé, il apparaît que l’article mentionne la date exacte d’avril 2023.

Le CDJM considère que l’angle ou des angles de l’article sont l’apanage des rédactions et que le journaliste est entièrement libre de ce choix. Le CDJM estime que l’absence de précisions, reprochée par le requérant, ne caractérise pas une inexactitude au sens de la déontologie du journalisme.

Le grief d’inexactitude n’est pas constitué.

Sur le grief de non-rectification d’une erreur

➔ Le CDJM estime que le grief d’inexactitude n’est pas constitué. Par voie de conséquence, en l’absence d’erreur caractérisée, le grief de non-rectification d’une erreur n’a pas lieu d’être.

Sur le grief d’absence d’offre de réplique

➔ Le requérant, l’élu local cité dans l’article du Point, affirme ne pas avoir été contacté par M. Antoine Copra et estime qu’il aurait dû pouvoir s’exprimer sur ce que le journal a nommé « l’affaire des médecins cubains de Guingamp ». M. Roblin affirme, dans une demande au Point qu’il a intégrée dans sa saisine, que l’article le « nomme à plusieurs reprises, avec la volonté manifeste de [lui] nuire et d’entacher [sa] réputation plutôt que d’informer. À aucun moment l’auteur de l’article n’a pris attache avec [lui] en amont de la publication comme le recommande la déontologie élémentaire et le sens de la rigueur journalistique la plus évidente, et à aucun moment il n’a pris le soin de vérifier certains points ».

Il constate également que « ni les médecins présents de l’association des médecins urgentistes de France, ni les agents hospitaliers, ni les associatifs, ni les syndicats de Guingamp, ni [lui] ni les autres élus, ni les syndicalistes et citoyens présents lors de la rencontre avec l’ambassadeur de Cuba n’ont été contactés par l’auteur de l’article ».

➔ Le CDJM note que si M. Roblin, à l’initiative de l’appel éventuel à des médecins cubains, n’a pas été sollicité par Le Point pour expliciter son point de vue, M. Vincent Le Meaux, président de Guingamp Paimpol Agglomération, est cité dans l’article en défense du projet.

Le CDJM considère en revanche que la présentation du parcours de M. Roblin et l’évocation de son passé judiciaire, sans rapport direct avec le sujet de l’article, affectent suffisamment son image personnelle pour appeler naturellement une offre de réplique.

Le grief d’absence d’offre de réplique est constitué.

Conclusion

Le CDJM, réuni le 30 juillet 2024 en séance plénière, estime que l’obligation déontologique d’exactitude n’a pas été enfreinte par Le Point et donc qu’aucune obligation de rectification n’était attendue. En revanche, le CDJM estime que celle d’offre de réplique n’a pas été respectée.

La saisine est déclarée partiellement fondée.

Cet avis a été adopté par consensus.

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