Avis sur la saisine n° 24-045

Adopté en réunion plénière du 30 juillet 2024 (version PDF)

Description de la saisine

Le 10 février 2024, M. Kaven Benoit a saisi le CDJM à propos d’une émission diffusée par la chaîne France 24 le 8 février 2024 et titrée : « Canada : avec des frais d’inscription majorés, les universités anglophones du Québec attirent moins ».

M. Kaven Benoit estime que ce reportage consacré à la décision des autorités québécoises d’augmenter les frais d’inscription dans les universités anglophones de la province ne respecte ni l’exactitude des faits rapportés, ni « l’équilibre et la complétude ». Cette dernière notion peut s’assimiler à l’exigence déontologique de non-suppression d’informations essentielles, qui figure dans les chartes auxquelles se réfère le CDJM. M. Benoit relève sept passages du reportage qui sont, selon lui, inexacts ou souffrant de manquements préjudiciables à la compréhension.

Recevabilité

Le requérant est citoyen canadien résidant au Québec, téléspectateur de France 24. L’article 1.2 du règlement intérieur du CDJM indique que « pour être retenue, une saisine doit porter sur un acte journalistique édité, publié ou diffusé en France, ou à destination du public français ». France 24 est une chaîne à vocation internationale qui s’adresse à des publics présents dans de multiples territoires, mais qui est également accessible en France. La saisine est recevable.

Règles déontologiques concernées

Les textes déontologiques auxquels le CDJM se réfère précisent les obligations du journaliste.

À propos du respect de l’exactitude et de la véracité :

  • Il « tient l’esprit critique, la véracité, l’exactitude, l’intégrité, l’équité, l’impartialité, pour les piliers de l’action journalistique ; tient l’accusation sans preuve, l’intention de nuire, l’altération des documents, la déformation des faits, le détournement d’images, le mensonge, la manipulation, la censure et l’autocensure, la non-vérification des faits, pour les plus graves dérives professionnelles », selon la Charte d’éthique professionnelle des journalistes français (1918-1938-2011).
  • Il doit « respecter la vérité, quelles qu’en puissent être les conséquences pour lui-même, et ce, en raison du droit que le public a de connaître », selon la Déclaration des droits et devoirs des journalistes (Munich, 1971, devoir no 1).
  • Il doit « respecter les faits et le droit que le public a de les connaître », selon la Charte d’éthique mondiale des journalistes (FIJ, 2019, article 1).
  • Il doit « publier seulement les informations dont l’origine est connue ou les accompagner, si c’est nécessaire, des réserves qui s’imposent », selon la Déclaration des droits et devoirs des journalistes (Munich, 1971, devoir no 3).
  • Il défend « en tout temps, les principes de liberté dans la collecte et la publication honnêtes des informations, ainsi que le droit à un commentaire et à une critique équitables » et veille « à distinguer clairement l’information du commentaire et de la critique », selon la Charte d’éthique mondiale des journalistes (FIJ, 2019, article 2).
  • Il « ne rapportera que des faits dont [il] connaît l’origine, ne supprimera pas d’informations essentielles et ne falsifiera pas de documents. [Il] sera prudent dans l’utilisation des propos et documents publiés sur les médias sociaux », selon la Charte d’éthique mondiale des journalistes (FIJ, 2019, article 3).

À propos de la suppression d’informations essentielles :

Réponse du média mis en cause

Le 15 février 2024, le CDJM a adressé à Mme Vanessa Burggraf, directrice de France 24, avec copies à M. Loïck Berrou, directeur des magazines et des correspondants, M. François Rihouay et Mme Joanne Profeta, journalistes indépendants basés au Canada collaborant notamment avec France 24, un courrier les informant de cette saisine et les invitant à faire connaître leurs observations, comme le prévoit le règlement du CDJM, dans un délai de quinze jours.

À la date du 30 juillet 2024, aucune réponse n’est parvenue au CDJM.

Analyse du CDJM

➔ Le reportage en cause, d’une durée de 5 min et 21 s, a été diffusé sur les antennes de France 24 et repris sur son site, accompagné d’un bref résumé. Il s’ouvre sur le témoignage d’une étudiante de Toronto qui va renoncer à s’inscrire dans une université québécoise francophone à cause de la hausse des frais d’inscription. La raison de cette hausse est expliquée par le journaliste et dans un extrait d’une conférence de presse de la ministre de l’Enseignement supérieur du Québec.

Les réactions des adversaires de cette mesure et les manifestations qu’elle suscite sont exposées en images. Est aussi montré un extrait d’une conférence des dirigeants d’une des universités concernées, qui vont, dit le commentaire, élargir les critères d’attribution des bourses pour pallier les effets de cette hausse. Le reportage évoque enfin la réaction favorable des universités francophones et l’effet présumé de la mesure en ce qui concerne la défense du français.

Sur le grief d’inexactitude

➔ Le requérant relève qu’il est dit dans le commentaire, à 1 min 12 s du début, que « toutes [les universités anglophones] devront en revanche s’assurer que 80 % des élèves au moins maîtrisent le français à un niveau intermédiaire en fin de premier cycle ». Il déplore qu’il n’y ait « aucune description du niveau intermédiaire ». Il joint à sa remarque un lien vers un document du gouvernement québecois qui présente « l’échelle québécoise des niveaux de compétence en français ». Le CDJM observe que, sous la mention « intermédiaire », ce document indique quatre paliers, et couvre une connaissance du français qui va bien au-delà de la capacité « à entretenir une conversation avec un chauffeur de taxi ou écrire un commentaire simple dans un fil d’une publication Facebook », comme l’affirme le requérant dans sa saisine.

Certes, dans le reportage en cause le terme « niveau intermédiaire » n’est pas explicité, mais on comprend que les étudiants devront majoritairement maîtriser « un certain » niveau de français, bien qu’ils soient dans une université anglophone. Il n’était pas nécessaire, dans un reportage qui n’est pas destiné spécifiquement au public canadien, de préciser davantage cette notion.

➔ Le commentaire off précise ensuite : « Objectif, dit le gouvernement québécois : mieux financer les universités francophones de la province et changer le profil linguistique de Montréal. » M. Benoit estime cette phrase inexacte car « ce n’est pas tant question de l’amélioration du financement des universités francophones mais plutôt d’une allocation dudit financement vers des étudiants québécois fréquentant des universités francophones du Québec ».

Le CDJM constate que dans l’extrait de sa conférence de presse qui suit, Mme Pascale Déry, la ministre de l’Enseignement supérieur du Québec, dit que « le gouvernement du Québec envoie un signal clair. Non seulement on met fin à une politique qui subventionnait à perte des étudiants qui ne restent pas ici, mais on vient freiner le déclin du français à Montréal ». La phrase du commentaire pour présenter l’objectif du gouvernement québécois restitue correctement ces propos, qui est le message essentiel que veut faire passer le journaliste.

La distinction que fait le requérant entre financement direct des universités et allocation de ce financement vers les étudiants ne change pas le sens général : orienter davantage d’argent vers les études supérieures en français dans un but de défense du français. Le CDJM note d’ailleurs que le requérant lui-même écrit plus loin dans sa saisine que « le financement versé aux universités (anglophones et francophones) par le Québec dépend du nombre d’étudiants inscrits en leur sein ».

➔ M. Benoit note qu’« à 2 min 46 s, il est mentionné, je cite, “la taxe gouvernementale” par le narrateur lorsqu’il s’agit d’une mise à jour, par programme, des frais de scolarité universitaires chez les étudiants canadiens hors Québec ».

Le terme de « taxe » ne décrit en effet pas techniquement ce dont il s’agit – une hausse des frais de scolarité. Le CDJM observe cependant que ce mot désigne d’une manière générale une contrepartie financière imposée à celui qui bénéficie d’une prestation. La hausse des frais d’inscription est une décision du gouvernement québécois. Elle s’impose aux étudiants concernés. Le terme n’est peut être pas le plus approprié, mais le sens est respecté et la véracité des faits respectée.

➔ Le requérant conteste l’exactitude de la phrase (entre 3 min 56 s et 4 min 02 s) : « L’argent pris à ces universités stars anglophones sera reversé aux autres établissements, promet le gouvernement ». Il argue que « le financement versé aux universités (anglophones et francophones) par le Québec dépend du nombre d’étudiants inscrits en leur sein, la réduction anticipée du nombre d’étudiants canadiens hors Québec s’inscrivant aux universités McGill et Concordia permettra un rééquilibre respectueux du financement que reçoivent les trois universités anglophones (29%) par rapport au poids démographique réel de la communauté anglophone de souche du Québec (environ 9% de la population du Québec). Ce pourcentage est fort élevé à cause de l’attractivité (coût de la vie, frais de scolarité, loyers, etc.) que constituait le Québec pour les étudiants canadiens hors Québec avant la mise à jour et pour lesquels le Québec était tenu de verser aux universités où ils étaient inscrits un financement prédéterminé ».

Le CDJM constate que le requérant n’indique pas ce qui est inexact dans la phrase du journaliste qu’il cite. Il note que son argumentation valide l’idée que l’augmentation des frais de scolarité entraînera une diminution du nombre d’étudiants dans les universités anglophones, donc du « financement versé aux universités ».

Sur le grief d’absence d’informations essentielles

➔ M. Benoit estime qu’il manque pour la compréhension des faits une « mise en contexte portant sur le coût de la vie à Toronto où les frais de loyer et de scolarité universitaires sont supérieurs à ceux que l’on retrouve au Québec (McGill, Concordia, Bishop’s) », ce qui, selon lui, incitait « jusqu’à la hausse des frais de scolarité universitaires, beaucoup d’étudiants canadiens hors Québec à vouloir étudier dans l’une des trois universités anglophones situées en territoire québécois ».

Le CDJM note que cette mise en contexte par la comparaison entre le coût de la vie à Toronto et au Québec n’est pas faite. Il considère que c’est un choix rédactionnel, la question de savoir pourquoi des étudiants canadiens hors Québec viennent y étudier n’étant pas l’angle du reportage.

➔ Le requérant déplore qu’« aucune contre-expertise » ne soit opposée aux « protestations du directeur de l’université McGill », reprises par le reportage, sur l’obligation d’avoir 80 % de ses étudiants qui atteignent le niveau 5 en français.

Le CDJM rappelle que le reportage porte sur la décision du Québec concernant les universités anglophones. Il donne la parole à différents acteurs qui sont des officiels (ministre, directeur d’université) et ne prend pas position sur la justesse de leurs argumentations. Il expose plusieurs aspects du sujet sans avoir la prétention d’épuiser le débat sur chaque point.

L’un d’eux est la « protestation du directeur de l’université McGill ». Ne pas faire intervenir des experts ou des professionnels pour la contredire est un choix rédactionnel d’une chaîne qui ne vise pas spécifiquement un public canadien, ce qui peut justifier, dans un format court, de ne pas évoquer tous les arguments et contre-arguments.

➔ Le requérant déplore enfin l’absence dans le reportage d’un « affichage (avec source) d’un tableau comparatif illustrant les frais de scolarité universitaires (2024) entre étudiants québécois et étudiants canadiens hors Québec pour les programmes affectés par la mise à jour ».

Le CDJM admet qu’un tableau comparatif serait un élément d’information supplémentaire. Mais il considère que son absence n’est ni une inexactitude ni un manque pour la compréhension du sujet.

Conclusion

Le CDJM réuni le 30 juillet 2024 en séance plénière estime que les obligations déontologiques d’exactitude et de véracité, et de non-suppression d’informations essentielles, ont été respectées par France 24.

La saisine est déclarée non fondée.

Cet avis a été adopté par consensus.

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