Adopté en réunion plénière du 11 juin 2024 (version PDF)
Description de la saisine
Le 24 octobre 2023, M. Alexandre Walnier a saisi le CDJM à propos de l’émission « Vrai ou faux » diffusée par Franceinfo le 25 septembre 2023 et intitulée « La culture en biodynamie donne-t-elle vraiment de meilleurs vins ? ». Il estime que la présentation qui est faite de la biodynamie dans l’émission est « réductrice et donc inexacte ». Il rapporte plusieurs inexactitudes, selon lui, concernant l’anthroposophie et son fondateur M. Rudolf Steiner. Ces raccourcis dans la présentation de l’anthroposophie se retrouveraient, selon lui, dans celle de la biodynamie, dont il est donné, dit-il, « une fausse image ».
Une autre inexactitude concernerait, toujours selon le requérant, les présentations qui sont faites de Mme Linda Chalker-Scott – la voix off la présente comme une « chercheuse » – et de M. Cyril Gambari – un bandeau à l’écran le présente comme un « docteur en microbiologie, enseignant en lycée agricole ». À leur sujet, l’émission « Vrai ou faux » aurait omis des informations essentielles. Le requérant dénonce également l’emploi du présent pour une recherche relative à la biodynamie datant de 2013, omettant deux méta-analyses de 2021 et 2022, ce qui, selon lui, montre que « l’information n’a pas été recoupée ». M. Walnier considère également que les journalistes du « Vrai ou faux » n’ont pas vérifié les propos de M. Gambari sur la Lune ou les travaux de l’ingénieur forestier suisse M. Ernst Zürcher.
Sur un plan plus général, il estime qu’« aucun contradictoire au niveau scientifique [n’est apporté] dans le débat public sur la biodynamie, tant dans la vidéo que dans l’écrit ». Pour lui, « le public est en face d’une espèce de préjugé, stéréotypé […] de la pratique biodynamique et des biodynamistes ». Enfin, M. Walnier indique avoir envoyé aux journalistes de Franceinfo, le jour même de la diffusion de la séquence vidéo, un courrier dont il livre une copie au CDJM, pour leur demander « de corriger leurs inexactitudes ». Il affirme que ce courrier est resté sans réponse et n’a pas été suivi d’effet.
Le requérant dénonce donc un non-respect de l’exactitude et de la véracité, une absence d’informations essentielles, une absence d’offre de réplique et une non-rectification d’erreur.
Règles déontologiques concernées
Les textes déontologiques auxquels le CDJM se réfère précisent les obligations du journaliste.
- Il « tient l’esprit critique, la véracité, l’exactitude, l’intégrité, l’équité, l’impartialité, pour les piliers de l’action journalistique ; tient l’accusation sans preuve, l’intention de nuire, l’altération des documents, la déformation des faits, le détournement d’images, le mensonge, la manipulation, la censure et l’autocensure, la non-vérification des faits, pour les plus graves dérives professionnelles », selon la Charte d’éthique professionnelle des journalistes français (1918-1938-2011).
- Il doit « respecter la vérité, quelles qu’en puissent être les conséquences pour lui-même, et ce, en raison du droit que le public a de connaître », selon la Déclaration des droits et devoirs des journalistes (Munich, 1971, devoir no 1).
- Il doit « respecter les faits et le droit que le public a de les connaître », selon la Charte d’éthique mondiale des journalistes (FIJ, 2019, article 1).
- Il défend « en tout temps, les principes de liberté dans la collecte et la publication honnêtes des informations, ainsi que le droit à un commentaire et à une critique équitables » et veille « à distinguer clairement l’information du commentaire et de la critique », selon la Charte d’éthique mondiale des journalistes (FIJ, 2019, article 2).
- Il « ne rapportera que des faits dont [il] connaît l’origine, ne supprimera pas d’informations essentielles et ne falsifiera pas de documents. [Il] sera prudent dans l’utilisation des propos et documents publiés sur les médias sociaux », selon la Charte d’éthique mondiale des journalistes (FIJ, 2019, article 3).
- Il « considérera comme fautes professionnelles graves le plagiat, la distorsion des faits, la calomnie, la médisance, la diffamation, les accusations sans fondement », selon la Charte d’éthique mondiale des journalistes (FIJ, 2019, article 10).
- Il veille à ce que « la notion d’urgence ou d’immédiateté dans la diffusion de l’information ne [prévale] pas sur la vérification des faits, des sources et/ou l’offre de réplique aux personnes mises en cause », selon la Charte d’éthique mondiale des journalistes (FIJ, 2019, article 5).
- Il « publiera seulement les informations dont l’origine est connue ou les accompagnera, si c’est nécessaire, des réserves qui s’imposent ; il ne supprimera pas les informations essentielles et n’altérera pas les textes et les documents », selon la Charte des droits et devoirs des journalistes (Munich, 1971, devoir no 3).
- Il « fait en sorte de rectifier rapidement toute information diffusée qui se révèlerait inexacte », selon la Charte d’éthique professionnelle des journalistes français (1918-1938-2011).
- Il « rectifie toute information publiée qui se révèle inexacte », selon la Déclaration des droits et devoirs des journalistes (Munich, 1971, devoir no 6).
- Il « s’efforcera par tous les moyens de rectifier de manière rapide, explicite, complète et visible toute erreur ou information publiée qui s’avère inexacte », selon la Charte d’éthique mondiale des journalistes (FIJ, 2019, article 6).
- Lire aussi la recommandation du CDJM « Rectification des erreurs : les bonnes pratiques ».
Réponse du média mis en cause
Le 16 avril 2024, le CDJM a adressé à M. Alexandre Kara, directeur de l’information de France Télévisions, et à M. Julien Pain, rédacteur en chef de l’émission « Vrai ou faux », avec copie à M. Luc Brisson, journaliste, un courrier les informant de cette saisine et les invitant à faire connaître leurs observations, comme le prévoit le règlement du CDJM (modifié le 24 mai 2024), dans un délai de quinze jours.
À la date du 11 juin 2024, aucune réponse n’est parvenue au CDJM.
Analyse du CDJM
➔ L’acte journalistique concerné est une chronique « Vrai ou faux » diffusée sur Franceinfo le 25 septembre 2023 qui entend répondre à la question suivante : la culture en biodynamie donne-t-elle vraiment de meilleurs vins ? Elle s’intéresse pour ce faire au domaine viticole du grand cru classé Château Smith Haut-Lafitte, qui utilise « de nombreux enseignements de l’agriculture biodynamique », selon le site de celui-ci.
➔ Le CDJM observe que l’acte journalistique en cause relève d’une rubrique de fact checking (« vérification de faits ») dont le téléspectateur peut attendre une rigueur toute particulière et dont le titre même – « Vrai ou faux » – présuppose la possibilité d’émettre un avis tranché.
Sur le non-respect de l’exactitude et sur l’absence d’informations essentielles
➔ Le CDJM relève que, dans sa saisine, le requérant énumère une succession d’affirmations qu’il juge erronées relatives à la fois à l’histoire de la théorie anthroposophique, à ses relations avec la biodynamie et à l’efficacité proprement dite de cette pratique agricole. Il constate par ailleurs que l’auteur de la séquence vidéo en cause a fait porter sa critique de la biodynamie, d’une part, sur ses fondements supposés dans la théorie anthroposophique et, d’autre part, sur le témoignage univoque de deux intervenants déniant tout effet identifiable à la biodynamie.
➔ Sans entrer dans le débat proprement scientifique dans lequel s’engage le requérant et que le CDJM n’est pas en mesure de trancher au sens du deuxième alinéa de l’article 2.7 de son règlement intérieur, le CDJM considère cependant qu’en ne faisant aucun état des cahiers des charges en matière de pratiques culturales qui constituent la biodynamie proprement dite, le journaliste a privé le public d’une information essentielle à l’élaboration de son propre jugement.
Le CDJM considère qu’en centrant la question de l’efficacité du recours à la biodynamie sur son apport au goût du vin – qui « est certainement excellent » selon le commentaire off de l’émission –, et en y apportant une réponse négative – « Il est difficile d’affirmer que [la qualité du Château Smith Haut-Lafitte] a quelque chose à voir avec la biodynamie » –, l’émission « Vrai ou faux » de Franceinfo méconnaît la nature même de la biodynamie. Ce terme regroupe un ensemble d’engagements de moyens en matière de politique culturale et non de résultat, et dont l’enjeu se situe davantage sur le terrain de la santé humaine, de la protection de la nature et des plantes que sur celui du goût.
Ainsi, estime le CDJM, pas plus que l’urgence ne saurait prévaloir sur la vérification des faits, la brièveté d’un format ne saurait justifier d’une réponse simpliste donnée à une question complexe. Le CDJM estime donc que le grief d’absence d’informations essentielles est fondé.
➔ Par ailleurs, le CDJM remarque que, si l’émission « Vrai ou faux » présente l’un des experts – M. Cyril Gambari – comme « docteur en microbiologie, enseignant en lycée agricole » sur un bandeau incrusté à l’écran au moment où celui-ci s’exprime, elle omet d’indiquer que ce dernier est un militant actif notoirement opposé (sur les réseaux sociaux et dans les médias) à l’agriculture biodynamique et à l’anthroposophie. Ce faisant, l’émission « Vrai ou faux » de Franceinfo ne permet pas aux téléspectateurs de saisir que l’expertise de cet intervenant, amené à commenter différents aspects de l’agriculture biodynamique, intervient non sous l’étiquette d’un observateur neutre, extérieur au débat, mais sous celle d’un contradicteur engagé et critique. Ces derniers ne peuvent apprécier ainsi en toute connaissance de cause la teneur des propos cités.
Il apparaît donc que M. Gambari aurait dû être présenté comme un militant anti-biodynamie et non comme un « expert » supposé impartial – ce qui n’aurait pas empêché pour autant l’émission « Vrai ou faux » de lui donner la parole. Le CDJM estime que l’obligation déontologique de ne pas omettre d’information essentielle a été enfreinte.
Sur l’absence d’offre de réplique
➔ Le CDJM constate que Mme Florence Cathiard, propriétaire du domaine viticole Château Smith Haut-Lafitte, qui fait l’objet de la séquence vidéo en cause, présente quelques exemples ponctuels de pratiques culturales en biodynamie. Cela constitue le contrepoint nécessaire au parti pris de l’émission sur les effets d’une méthode complexe. Le CDJM estime que l’obligation déontologique d’offre de réplique n’a pas été enfreinte.
Sur la non-rectification d’une erreur
➔ Les inexactitudes supposées relatives à la théorie anthroposophique soulevées par le requérant n’ayant pas pu être établies par le CDJM – celui-ci considérant qu’il ne relève pas de sa compétence de trancher un débat scientifique au regard de son règlement intérieur –, la discussion sur le grief de non rectification d’erreurs concernant le débat scientifique ouvert par le requérant est sans objet. Le CDJM estime par contre que la présentation de M. Gambari et de Mme Chalker-Scott aurait dû être complétée, notamment dans les indications qui figurent sous la reprise de la vidéo sur le site de Franceinfo.
Conclusion
Le CDJM réuni le 11 juin 2024 en séance plénière estime que Franceinfo a enfreint l’obligation déontologique de ne pas omettre d’informations essentielles dans le traitement d’un sujet. En revanche, il estime que Franceinfo n’a pas enfreint les obligations déontologiques d’exactitude, d’offre de réplique et de non-rectification d’une erreur.
La saisine est déclarée partiellement fondée.
Cet avis a été adopté par consensus.