Avis sur la saisine n° 23-145

Adopté en réunion plénière du 14 mai 2024 (version PDF)

Description de la saisine

Le 28 décembre 2023, M. Patrick Delattre a saisi le CDJM du contenu d’un post du Monde sur le réseau social X (ex-Twitter) relatif à la mort de M. Jacques Delors diffusé le 28 décembre 2023 à 8 h 45 et comportant le texte suivant : « Mort de Jacques Delors : des hommages unanimes au sein du monde politique. » Ce message renvoie à l’article publié sur le site du quotidien à 5 h 33 et titré « Après la mort de Jacques Delors, des hommages unanimes au sein du monde politique ».

M. Delattre estime que ce titre viole « sciemment » l’obligation déontologique d’exactitude et de véracité dans la mesure où, explique-t-il, « les dirigeants des partis favorables au Frexit [le départ de la France de l’Union européenne, ndlr] […] ne lui ont pas rendu hommage mais ont au contraire relevé ses nombreuses “fautes” contre la France ».

Recevabilité

Le message auquel se réfère le requérant dans sa saisine est diffusé sur le réseau social X sur le compte officiel du Monde, @lemondefr. Il renvoie par hyperlien vers un article du site du quotidien. Il donne deux informations, le décès d’une personnalité et les réactions que cela suscite. Outre sa fonction d’invitation à la lecture de l’article lui-même, il est en soi un acte journalistique.

Règles déontologiques concernées

Les textes déontologiques auxquels le CDJM se réfère précisent les obligations du journaliste.

  • Il « tient l’esprit critique, la véracité, l’exactitude, l’intégrité, l’équité, l’impartialité, pour les piliers de l’action journalistique ; tient l’accusation sans preuve, l’intention de nuire, l’altération des documents, la déformation des faits, le détournement d’images, le mensonge, la manipulation, la censure et l’autocensure, la non-vérification des faits, pour les plus graves dérives professionnelles », selon la Charte d’éthique professionnelle des journalistes français (1918-1938-2011).
  • Il doit « respecter la vérité, quelles qu’en puissent être les conséquences pour lui-même, et ce, en raison du droit que le public a de connaître », selon la Déclaration des droits et devoirs des journalistes (Munich, 1971, devoir no 1).
  • Il doit « respecter les faits et le droit que le public a de les connaître », selon la Charte d’éthique mondiale des journalistes (FIJ, 2019, article 1).
  • Il « considérera comme fautes professionnelles graves le plagiat, la distorsion des faits, la calomnie, la médisance, la diffamation, les accusations sans fondement », selon la Charte d’éthique mondiale des journalistes (FIJ, 2019, article 10).

Réponse du média mis en cause

Le 26 janvier 2024 le CDJM a adressé à Mme Caroline Monnot, directrice de la rédaction du Monde, un courrier l’informant de cette saisine et l’invitant à faire connaître ses observations, comme le prévoit le règlement du CDJM, dans un délai de quinze jours.

À la date du 14 mai 2024, aucune réponse n’est parvenue au CDJM.

Analyse du CDJM

➔ Le requérant fonde son grief sur l’emploi du mot « unanime » dans le message d’alerte diffusé sur le compte du Monde sur le réseau X, qui reprend le titre de l’article auquel il renvoie. Cet article est une recension des réactions à l’annonce du décès de M. Jacques Delors publiée le 28 décembre 2023 à 5 h 33 et modifiée le même jour à 9 h 41.

Le terme « unanime » signifie notamment « qui ont tous la même opinion, le même avis », selon Le Robert en ligne. Si les vingt personnalités françaises et étrangères citées dans l’article rendent hommage à Jacques Delors, l’auteure observe cependant que « l’extrême droite est restée à l’écart du concert de louanges ». Ce terme utilisé dans le titre et repris dans le message est impropre, puisqu’il y a eu des voix dissonantes dont « des dirigeants de partis favorables au Frexit » évoqués par le requérant.

➔ Le CDJM observe cependant que dans un titre s’exprime aussi un choix qui relève de la ligne éditoriale d’un média et de la lecture qu’il fait d’un événement. Il y a en l’occurrence effectivement une très grande majorité de responsables politiques qui rendent hommage au disparu (vingt sont cités). L’article parle en attaque « d’une rare unanimité », formulation tempérée et plus loin par l’indication que « l’extrême droite est restée à l’écart du concert de louanges ». L’usage de l’adjectif « unanime » s’inscrit dans la marge d’interprétation qu’autorise le choix d’un titre. L’inexactitude n’est pas déontologiquement établie.

➔ Le CDJM rappelle cependant qu’en règle générale, le choix des termes employés pour décrire une réalité doit être le plus précis possible. Le respect du sens des mots est la première marque d’une rigueur individuelle et collective qui fonde la confiance du public dans l’information.

Conclusion

Le CDJM réuni le 14 mai 2024 en séance plénière estime que l’obligation déontologique d’exactitude et de véracité n’a pas été enfreinte par Le Monde.

La saisine est déclarée non fondée.

Cet avis a été adopté à l’issue d’un vote (14 voix pour, 1 voix contre et 6 abstentions).

Opinion minoritaire

En application de l’article 6 alinéa 4 du règlement intérieur du CDJM, la conseillère qui a voté contre la décision du CDJM a souhaité que cette opinion minoritaire soit insérée :

« Le terme “unanime” signifie “qui ont tous la même opinion, le même avis” (Grand dictionnaire Le Robert – édition 1975). Ce qui n’est pas le cas ici, puisque, avant parution, plusieurs voix s’étaient élevées, de divers horizons politiques, pour exprimer des opinions critiques. Le Monde, contacté par le CDJM, n’a pas répondu, ni opéré de rectification. Le choix de ce titre ne s’inscrit pas dans la marge d’interprétation qu’autorise le choix d’un titre comme l’estime la majorité du Conseil, mais a ignoré l’exactitude et la véracité des faits. La saisine aurait dû être déclarée fondée. »

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