Avis sur la saisine n° 23-126

Adopté en réunion plénière du 12 mars 2024 (version PDF)

Description de la saisine

Le 11 novembre 2023, M. Matthieu Marchand a saisi le CDJM à propos d’un article titré « Hassan Eslaiah, photographe de presse ou complice du Hamas ? » et publié le 9 novembre 2023 par le magazine Le Point sur son site. Il estime que « cet article, qui relaie des accusations gravissimes contre un photoreporter palestinien [soupçonné de collusion avec le Hamas lors de l’attaque du 7 octobre 2023, ndlr], est en (très grande) partie faux ». Il appuie sa saisine sur un article du service Checknews de Libération, qui conclut, après enquête, que « rien ne permet de dire que [les photoreporters palestiniens] étaient au courant de l’opération terroriste ».

Règles déontologiques concernées

Les textes déontologiques auxquels le CDJM se réfère précisent les obligations du journaliste.

  • Il « tient l’esprit critique, la véracité, l’exactitude, l’intégrité, l’équité, l’impartialité, pour les piliers de l’action journalistique ; tient l’accusation sans preuve, l’intention de nuire, l’altération des documents, la déformation des faits, le détournement d’images, le mensonge, la manipulation, la censure et l’autocensure, la non-vérification des faits, pour les plus graves dérives professionnelles », selon la Charte d’éthique professionnelle des journalistes français (1918-1938-2011).
  • Il doit « respecter la vérité, quelles qu’en puissent être les conséquences pour lui-même, et ce, en raison du droit que le public a de connaître », selon la Déclaration des droits et devoirs des journalistes (Munich, 1971, devoir no 1).
  • Il doit « respecter les faits et le droit que le public a de les connaître », selon la Charte d’éthique mondiale des journalistes (FIJ, 2019, article 1).
  • Il doit « publier seulement les informations dont l’origine est connue ou les accompagner, si c’est nécessaire, des réserves qui s’imposent », selon la Déclaration des droits et devoirs des journalistes (Munich, 1971, devoir no 3).
  • Il défend « en tout temps, les principes de liberté dans la collecte et la publication honnêtes des informations, ainsi que le droit à un commentaire et à une critique équitables » et veille « à distinguer clairement l’information du commentaire et de la critique », selon la Charte d’éthique mondiale des journalistes (FIJ, 2019, article 2).
  • Il « ne rapportera que des faits dont [il] connaît l’origine, ne supprimera pas d’informations essentielles et ne falsifiera pas de documents. [Il] sera prudent dans l’utilisation des propos et documents publiés sur les médias sociaux », selon la Charte d’éthique mondiale des journalistes (FIJ, 2019, article 3).
  • Il « considérera comme fautes professionnelles graves le plagiat, la distorsion des faits, la calomnie, la médisance, la diffamation, les accusations sans fondement », selon la Charte d’éthique mondiale des journalistes (FIJ, 2019, article 10).

Réponse du média mis en cause

Le 16 novembre 2023, le CDJM a adressé à Mme Valérie Toranian, directrice de la rédaction du Point, avec copie à M. Olivier Ubertalli, journaliste, une lettre les informant de cette saisine et les invitant à faire connaître leurs observations, comme le prévoit le règlement du CDJM, dans un délai de quinze jours.

À la date du 12 mars 2024, aucune réponse n’est parvenue au CDJM.

Analyse du CDJM

➔ L’article en cause relate la polémique qui s’est fait jour à la suite de la publication, le 8 novembre 2023, d’un article du site de l’ONG HonestReporting faisant état de la présence de photojournalistes palestiniens aux côtés des membres du Hamas dès le début de l’attaque du 7 octobre. Son titre pose une question : « Hassan Eslaiah, photographe de presse ou complice du Hamas ? ». Son sous-titre en affine le contexte : « Le comportement du photographe qui travaillait pour Associated Press (AP) et CNN le jour du pogrom, le 7 octobre 2023, comme celui d’autres confrères, suscite le débat. » Et une photo vient l’illustrer, montrant un homme faisant la bise à un autre : « Le cliché du photographe d’Hassan Eslaiah, à droite [celui qui est embrassé], explique la légende, avec Yahya Sinwar (gauche [celui qui fait la bise]), chef du Hamas et cerveau des attaques du 7 octobre 2023. » La photo est présentée comme une capture d’écran du compte X d’HonestReporting.

L’article, lui, retrace le Facebook Live réalisé le 7 octobre 2023 par le photographe d’AP et pose une série de questions : « Comment a-t-il été prévenu de cette attaque que le Hamas planifiait depuis des mois ? Pourquoi a-t-il franchi le mur de séparation avec les membres de l’organisation terroriste et est-il entré durablement en Israël ? N’est-il finalement qu’un rouage de leur propagande ? » Avant de conclure : « Cette attitude soulève de nombreuses questions déontologiques et éthiques. D’autant plus qu’un cliché finit de jeter le discrédit sur son travail. On y voit Hassan Eslaiah, tout sourire, embrassé par Yahya Sinwar, chef du Hamas et cerveau des attaques qui ont tué plus de 1 400 Israéliens. »

Le Point écrit aussi que « l’enquête de HonestReporting […] laisse à penser qu’il savait ce qui allait se passer et n’a pas jugé nécessaire d’en avertir les autorités israéliennes ». L’hebdomadaire précise toutefois que le photographe dément, que celui-ci « a expliqué n’avoir pas eu le temps de prendre son casque et son gilet de presse le 7 octobre, que la photographie avec Yahya Sinwar date de l’année 2018 et qu’il n’a aucun lien avec le Hamas ».

Sur le grief d’inexactitude et de non respect de la véracité

➔ M. Matthieu Marchand estime que « cet article, qui relaie des accusations gravissimes contre un photoreporter palestinien, est en (très grande) partie faux ». Il appuie sa saisine sur l’article du service Checknews de Libération intitulé « Des photojournalistes travaillant pour CNN, AP ou le “New York Times” accompagnaient-ils le Hamas lors du massacre du 7 octobre ? » et diffusé le 9 novembre sur le site du quotidien. Celui-ci conclut, après enquête, que « rien ne permet de dire que [les photoreporters palestiniens] étaient au courant de l’opération terroriste ».

Le CDJM constate que le travail de décryptage effectué par Libération, en interrogeant le principal mis en cause, les organes de presse concernés, et en analysant de nombreuses images et messages de réseaux sociaux – ce que n’a pas fait le journaliste du Point sur le sujet qu’il traitait – ne permet pas, effectivement, d’affirmer que les photojournalistes palestiniens incriminés étaient au courant de l’opération terroriste, ni même, s’agissant d’Hassan Eslaiah, de le laisser supposer, sauf à accuser sans preuve, fût-ce de manière interrogative. Il constate, de même, que la photographie utilisée par Le Point et qui induit en apparence une forte proximité entre celui-ci et Yahya Sinwar omet de préciser que le cliché est bien antérieur aux événements d’octobre 2023 (2018, selon le photographe) et a déjà fait l’objet d’un post sur le compte X de Hassan Eslaiah en 2020, aisément consultable.

Le CDJM constate que Le Point a publié l’article en cause en se basant uniquement sur ce qu’avait écrit l’ONG HonestReporting sans vérification supplémentaire, ni réserves, et en omettant une information essentielle, en l’occurrence la date de prise de vue de la photographie supposée devoir « de jeter le discrédit sur [le] travail [du photographe de presse] » d’une part et le contexte de cette prise de vue antérieure aux massacres du 7 octobre d’autre part. Le grief de non-respect de l’exactitude et de la véracité est fondé.

Conclusion

Le CDJM, réuni le 12 mars 2024 en séance plénière, estime que la règle déontologique de respect de l’exactitude et de la véracité a été enfreinte par Le Point.

La saisine est déclarée fondée.

Cet avis a été adopté par consensus.

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