Adopté en réunion plénière du 23 janvier 2024 (version PDF)
Description de la saisine
Le 31 octobre 2023, le CDJM a été saisi à propos d’un article publié le 20 octobre 2023 par Le Journal du dimanche et titré « Malgré son soutien au Hamas, Danièle Obono nommée juge à la Cour de justice de la République ». Le requérant estime que le titre de cet article « contient plusieurs erreurs factuelles : d’une part, sur le supposé soutien de la députée au Hamas, qui n’existe pas ; d’autre part, sur sa présence à la CJR, qui était antérieure à cette controverse et ne pouvait légalement être remise en cause par celle-ci ». Il s’inscrit en faux également quant à la notion de « confirmation » de Mme Obono comme membre de la Cour de justice de la République, qui figure dans le corps de l’article.
Recevabilité
Le requérant a demandé, conformément à l’article 7.4 du règlement intérieur du CDJM et à titre préliminaire, à ce que sa saisine soit anonymisée « au vu de la particulière sensibilité de la question israélo-palestinienne en ce moment, et des risques d’injures ou de cyber-harcèlement qui pourraient résulter de la publication de [son] identité ». Le CDJM, réuni le 23 janvier 2024, a accepté cette demande.
Règles déontologiques concernées
Les textes déontologiques auxquels le CDJM se réfère précisent les obligations du journaliste.
- Il « tient l’esprit critique, la véracité, l’exactitude, l’intégrité, l’équité, l’impartialité, pour les piliers de l’action journalistique ; tient l’accusation sans preuve, l’intention de nuire, l’altération des documents, la déformation des faits, le détournement d’images, le mensonge, la manipulation, la censure et l’autocensure, la non-vérification des faits, pour les plus graves dérives professionnelles », selon la Charte d’éthique professionnelle des journalistes (SNJ, 1918-1938-2011).
- Il doit « respecter la vérité, quelles qu’en puissent être les conséquences pour lui-même, et ce, en raison du droit que le public a de connaître », selon la Déclaration des droits et devoirs des journalistes (Munich, 1971, devoir no 1).
- Il doit « respecter les faits et le droit que le public a de les connaître », selon la Charte d’éthique mondiale des journalistes (FIJ, 2019, article 1).
Réponse du média mis en cause
Le 8 novembre 2023, le CDJM a adressé à M. Geoffroy Lejeune, directeur de la rédaction du Journal du dimanche, avec copie à Mme Marianne Lecach, journaliste, un courrier les informant de cette saisine et les invitant à faire connaître leurs observations, comme le prévoit le règlement du CDJM, dans un délai de quinze jours.
À la date du 23 janvier 2024, aucune réponse n’est parvenue au CDJM.
Analyse du CDJM
➔ Sous le titre « Malgré son soutien au Hamas, Danièle Obono nommée juge à la Cour de justice de la République », l’article du Journal du dimanche en cause s’ouvre sur un chapô (texte introductif) où on lit notamment que « la députée LFI a été confirmée juge titulaire à la Cour de justice de la République » et que ses propos « qualifiant le Hamas de “mouvement de résistance” » ont fait polémique. Une photo de Mme Obono est légendée « Danièle Obono a été nommée juge titulaire à la Cour de justice de la République », et l’article débute ainsi :
« La composition de la Cour de justice de la République a été rendue publique mercredi 18 octobre. Parmi les membres élus par l’Assemblée nationale se trouve Danièle Obono. La députée La France insoumise (LFI) a été nommée juge titulaire de la Cour de justice de la République, indique le Journal officiel. »
Plus loin, il est écrit que « si Danièle Obono est membre de la CJR depuis juillet 2022, sa confirmation dans l’institution créée en 1993 pourrait néanmoins poser question, au vu des lourds propos qu’elle a prononcés la veille de sa nomination ». Suit une citation de Mme Obono interrogée sur Sud Radio le 17 octobre 2023 où elle qualifie de Hamas de « groupe politique islamiste qui a une branche armée ».
Sur le grief d’inexactitude concernant un « soutien » de la députée Obono au Hamas
➔ Selon le requérant, l’article du Journal du dimanche justifie l’expression « soutien au Hamas » qui figure dans le titre « par l’interview controversée que la députée avait donnée à Sud Radio le 17 octobre, dans laquelle elle affirmait notamment que le Hamas était un “mouvement de résistance”. » Il estime que « qualifier le groupe de mouvement de résistance n’emporte pas de jugement moral mais constate simplement le fait que le groupe s’inscrit dans une opposition à l’État israélien, ce qui est le cas, indépendamment de l’horreur des méthodes employées ». Il renvoie en outre à un communiqué de la députée publié le 17 octobre à 10 h 31, dans lequel elle précise son propos.
Le CDJM a constaté enfin que Le Journal du dimanche a publié en pied de l’article en cause un droit de réponse de Mme Danièle Obono, dans lequel celle-ci indique :
« Le JDD a publié le 20 octobre 2023 un article qui affirme sans la moindre réserve que je “soutiendrais” le Hamas, en m’attribuant entre guillemets des propos que je n’ai pas tenus et en omettant une partie de l’échange que j’ai eu avec le journaliste qui m’interrogeait. Cette affirmation est parfaitement inexacte. »
Ce droit de réponse est suivi d’un commentaire du journal : « Le lecteur pourra utilement visionner l’échange intervenu entre Mme Obono et M. Bourdin sur Sud Radio, et constater à cette occasion que nous avons fidèlement rapporté entre guillemets les propos qui ont été tenus. »
➔ Le rôle du CDJM n’est pas de se prononcer sur les propos de Mme Obono sur Sud Radio et sur ses communiqués, mais de veiller au respect des bonnes pratiques déontologiques sans interférer avec les choix éditoriaux ou rédactionnels des journalistes. Il constate que dans son intervention sur Sud Radio citée par Le Journal du dimanche, Mme Obono disait que le Hamas est « un groupe politique islamique qui a une branche armée et qui s’inscrit dans les formations politiques palestiniennes qui a pour objectif la libération de la Palestine et qui résiste à une occupation ». Dans le message sur X (ex-Twitter) du 17 octobre 2023 auquel se refère le requérant, Mme Obono condamne les massacres du 7 octobre et donne sa lecture de ce qu’est le Hamas : « un groupe politique islamiste qui déclare inscrire son action dans la résistance à l’occupation de la Palestine ». Elle ajoute : « C’est un fait. Ni une excuse, ni un soutien, ni une caution pour ses crimes de guerre abjects contre les civils israéliens. »
Le CDJM constate que l’expression « Malgré son soutien au Hamas » qui commence le titre de l’article du Journal du dimanche affirme comme un fait établi que Mme Obono soutient effectivement le Hamas. Il constate également que celle-ci, le 17 octobre dans un communiqué, précise que sa position n’est « ni une excuse, ni un soutien, ni une caution pour ses crimes de guerre abjects contre les civils israéliens ». Écrire qu’elle soutient le Hamas est inexact.
Sur le grief d’inexactitude concernant la composition de la Cour de justice de la République
➔ Le requérant estime que l’article du Journal du dimanche « sous-entend que [Mme Obono] aurait été “nommée” (on ne sait par qui) indépendamment des controverses entourant ses récents propos, et que d’autres personnes cautionneraient donc le “soutien au Hamas” que l’article lui impute. » Le CDJM remarque qu’in fine, l’auteure de l’article précise que « Danièle Obono est membre de la CJR depuis juillet 2022 », ajoutant que « sa confirmation dans l’institution créée en 1993 pourrait néanmoins poser question ».
Le CDJM a constaté que les députés membres de la Cour de justice de la République (CJR) depuis les élections législatives de 2022 ont été élus le 26 juillet 2022 ; qu’ils sont élus pour la durée de la législature (article 7 de la loi organique n° 93-1252 du 23 novembre 1993) ; qu’un renouvellement partiel du Sénat ayant eu lieu en septembre 2023, les sénateurs juges ont été élus le 17 octobre 2023 ; que ce sont les mêmes députés qui sont listés le 26 juillet 2022 et dans la mise à jour de la composition de la CJR parue au Journal officiel le 23 octobre 2023, après les sénatoriales.
Écrire, d’une part, que les députés membres de la CJR sont « nommés » ou qu’ils ou elles doivent être « confirmés », et que, d’autre part, Mme Obono va sièger à la CJR « malgré » ses prises de position sur le conflit israëlo-palestinien est factuellement inexact.
Conclusion
Le CDJM réuni le 9 janvier 2024 en séance plénière estime que l’obligation déontologique d’exactitude et de véracité a été enfreinte par le Journal du dimanche.
La saisine est déclarée fondée à l’issue d’un vote, par 12 voix contre 11.
Opinion minoritaire
En application de l’article 6.4 du règlement intérieur du CDJM, huit conseillers qui ont voté contre la décision du CDJM ont souhaité que cet avis minoritaire soit inséré :
« Nous constatons que Mme Danièle Obono, qui condamne les actes commis le 7 octobre 2023 dans le sud d’Israël, donne à plusieurs reprises sa lecture de ce qu’est le Hamas, qu’elle désigne comme un “mouvement de résistance”.
Nous estimons qu’on peut librement analyser, ou non, ces propos de Mme Obono comme “un soutien au Hamas”, sans que ce terme signifie son approbation des actes commis par des membres de ce groupe le 7 octobre. Dans tous les cas, il s’agit d’un choix éditorial fondé sur une analyse, qui peut être évidemment partagée ou critiquée, mais qui ne constitue pas une inexactitude.
Nous concluons que le premier grief n’est pas fondé, alors que le second l’est. »