Adopté en réunion plénière du 9 janvier 2024 (version PDF)
Description de la saisine
Le 21 octobre 2023, M. Jérémy Collot a saisi le CDJM à propos d’un message sur X (ex-Twitter) diffusé le 17 octobre 2023 à 8 h 52 par Le Parisien sur le compte @le_Parisien avec le texte : « C’est bien le signe que notre société est gangrenée par un islamisme radical qui ne se cache même plus. » Il accompagne un visuel formé d’une photo et d’un texte en surimpression : « Un collégien refuse la minute de silence, au prétexte qu’il est pro-Ben Laden ». L’ensemble fait référence à un incident censé s’être produit dans un établissement scolaire des Yvelines à l’occasion de l’hommage national à M. Dominique Bernard, enseignant assassiné le 13 octobre 2023.
M. Jérémy Collot formule les griefs de non-respect de l’exactitude et de la véracité sur deux points. Il estime que « le texte utilisé pour illustrer le tweet contredit clairement ce qui est exprimé dans l’article ». Il considère que la phrase qui sert de « titre à ce message n’est pas attribuée à son auteur, pouvant laisser entendre [au lecteur} qu’il s’agit de l’avis du Parisien lui-même ».
Pour lui ce message « et notamment l’image associée […] incite à propager des fausses rumeurs » car, écrit-il, « l’article vers lequel ce message renvoie » dément la phrase insérée dans son illustration : « Un collégien refuse la minute de silence, au prétexte qu’il est pro-Ben Laden. »
Règles déontologiques concernées
Les textes déontologiques auxquels le CDJM se réfère précisent les obligations du journaliste.
- Il « tient l’esprit critique, la véracité, l’exactitude, l’intégrité, l’équité, l’impartialité, pour les piliers de l’action journalistique ; tient l’accusation sans preuve, l’intention de nuire, l’altération des documents, la déformation des faits, le détournement d’images, le mensonge, la manipulation, la censure et l’autocensure, la non-vérification des faits, pour les plus graves dérives professionnelles », selon la Charte d’éthique professionnelle des journalistes (SNJ, 1918-1938-2011).
- Il doit « respecter la vérité, quelles qu’en puissent être les conséquences pour lui-même, et ce, en raison du droit que le public a de connaître », selon la Déclaration des droits et devoirs des journalistes (Munich, 1971, devoir no 1).
- Il doit « respecter les faits et le droit que le public a de les connaître », selon la Charte d’éthique mondiale des journalistes (FIJ, 2019, article 1).
- Il doit « publier seulement les informations dont l’origine est connue ou les accompagner, si c’est nécessaire, des réserves qui s’imposent », selon la Déclaration des droits et devoirs des journalistes (Munich, 1971, devoir no 3).
- Il défend « en tout temps, les principes de liberté dans la collecte et la publication honnêtes des informations, ainsi que le droit à un commentaire et à une critique équitables » et veille « à distinguer clairement l’information du commentaire et de la critique », selon la Charte d’éthique mondiale des journalistes (FIJ, 2019, article 2).
- Il « ne rapportera que des faits dont [il] connaît l’origine, ne supprimera pas d’informations essentielles et ne falsifiera pas de documents. [Il] sera prudent dans l’utilisation des propos et documents publiés sur les médias sociaux », selon la Charte d’éthique mondiale des journalistes (FIJ, 2019, article 3).
- Il « considérera comme fautes professionnelles graves le plagiat, la distorsion des faits, la calomnie, la médisance, la diffamation, les accusations sans fondement », selon de la Charte d’éthique mondiale des journalistes (FIJ, 2019, article 10).
- Il veille « à ce que la diffusion d’une information ou d’une opinion ne contribue pas à nourrir la haine ou les préjugés » et fait son possible « pour éviter de faciliter la propagation de discriminations fondées sur l’origine géographique, raciale, sociale ou ethnique, le genre, les mœurs sexuelles, la langue, le handicap, la religion et les opinions politiques », selon la Charte d’éthique mondiale des journalistes (FIJ, 2019, article 9).
Réponse du média mis en cause
Le 27 octobre 2023, le CDJM a adressé à M. Nicolas Charbonneau, directeur des rédactions du Parisien, un courrier l’informant de cette saisine et l’invitant à faire connaître ses observations, comme le prévoit le règlement du CDJM, dans un délai de quinze jours.
À la date du 9 janvier 2024, aucune réponse n’est parvenue au CDJM.
Analyse du CDJM
➔ Le CDJM est saisi du message sur X (ex-Twitter) qui renvoie vers un article en ligne et publié dans l’édition « Yvelines » du Parisien. Ce message comprend une accroche : « C’est bien le signe que notre société est gangrenée par un islamisme radical qui ne se cache même plus », suivie d’un lien : https://l.leparisien.fr/pBz6. Il surmonte une photo qui montre un groupe d’adolescents massés devant un bâtiment (scolaire ?) à proximité duquel un drapeau tricolore est en berne. La phrase « Un collégien refuse la minute de silence au prétexte qu’il est pro-Ben Laden » et la signature « Le Parisien » sont incrustées en lettres blanches sur cette photo. Le lien qui figure en accroche renvoie à un article titré « Yvelines : un collégien a-t-il refusé de respecter la minute de silence ? ».
Sur le grief d’inexactitude concernant l’accroche du message
➔ M. Collot estime que la phrase « C’est bien le signe que notre société est gangrenée par un islamisme radical qui ne se cache même plus », qui sert d’accroche au message du Parisien sur X (ex-Twitter) n’est pas attribuée à son auteure, la maire de la ville concernée, « hormis la présence de guillemets », ce qui, selon lui, peut « laisser entendre qu’il s’agit de l’avis du Parisien lui-même ».
Le CDJM note que la présence de guillemets indique que la formule est une citation, ce qui écarte l’hypothèse d’une prise de position de la rédaction du Parisien. Il considère que la phrase ayant bien été prononcée par une personne citée dans l’article, il s’agit d’une inexactitude par absence d’un élément essentiel, nécessaire à la compréhension du message : qui prononce cette phrase ?
Sur le grief d’inexactitude concernant le texte incrusté dans la photo
➔ Le requérant souligne la différence qui existe entre le contenu du message sur X « toujours présent et visible », écrit-il au CDJM le 21 octobre 2023, et le contenu de l’article qu’il lit en activant le lien proposé dans ce message. Il considère que celui-ci « est donc totalement mensonger et incite à propager des fausses rumeurs ».
➔ Le CDJM a constaté qu’un article concernant la minute de silence dans les établissements scolaires organisée le 16 octobre a été mis en ligne ce même jour à 21 h 27 sur le site du Parisien. Cet article évoque un incident qui serait survenu dans un collège de Voisins-le-Bretonneux, lorsqu’un collégien aurait invoqué des convictions pro-palestiniennes et pro-Oussama Ben Laden pour refuser de participer. L’article inclut une citation de la maire de la ville : « C’est bien le signe que notre société est gangrenée par un islamisme radical qui ne se cache même plus. » Cet article est inséré dans l’édition « Yvelines » du Parisien datée du 17 octobre 2023.
Cette version de l’article est à l’évidence à la source du message sur X (ex-Twitter), objet de la saisine, publié le lendemain matin à 8 h 52 sur le compte du Parisien.
➔ Le CDJM a trouvé différentes versions numériques de cet article. Il a constaté que sa version en ligne a été légèrement modifiée dès 22 h 20 le 16 octobre, avec une précision sourcée sur l’adolescent en cause, qui, est-il ajouté, « mélange tout et ne comprend rien de ce qu’il raconte ».
Surtout, le CDJM a relevé qu’une version totalement remaniée a été mise en ligne le 17 octobre à 15 h 29, la modification portant sur le titre de l’article en ligne et sur le contenu. Le titre est, cette fois, à la forme interrogative : « Yvelines : un collégien a-t-il refusé de respecter la minute de silence ? » Le chapô (texte introduisant l’article donnant un aperçu de son contenu) évoque des incidents « relevés en France » et, sur ce qui retient l’attention dans les Yvelines, écrit : « L’épisode interroge à Voisins-le-Bretonneux. » L’illustration est une photo du collège de Voisins-le-Bretonneux et la légende est : « Voisins-le-Bretonneux, le mardi 17 octobre 2023. Le collège Champollion a fait parler de lui lundi 16 octobre, mais aucun incident lié à la minute de silence en hommage à Dominique Bernard n’a été remonté, assure une source proche du dossier. »
Dans le corps de l’article sont citées plusieurs sources (deux élèves du collège, l’académie de Versailles, le rectorat) qui indiquent qu’il ne s’est rien passé le jour de la minute de silence. Le rectorat cite la principale du collège : « Selon la principale, aucune remise en cause de la minute de silence n’a eu lieu au sein de l’établissement, l’ensemble de la communauté éducative ayant réalisé cette minute de silence de manière très respectueuse. » L’article dit bien que l’élève « connu pour ses provocations » ne s’est pas manifesté le jour de l’hommage à M. Dominique Bernard.
➔ Le CDJM prend acte des modifications de fond apportées par la rédaction du Parisien dès que les journalistes ont eu accès à d’autres sources, conduisant à donner une version des faits plus conforme à la réalité. Il note que cette correction est explicitée pour le public du site en ligne par la mention figurant haut dans la version corrigée de l’article :
« Selon des sources proches du dossier, aucun incident n’aurait été remonté lors de l’hommage au collège Jean-François Champollion, contrairement à une information communiquée par Le Parisien et BFMTV dans la soirée de lundi. »
➔ Cependant, le CDJM note que le message erroné sur X, lui, n’a pas été corrigé. Son contenu est largement démenti par la publication sur le site du journal à laquelle il renvoie. À la date du 9 janvier 2024, il reste accessible sur le compte sur X du Parisien. Et, toujours à cette date, iI a déjà été consulté plus de 860 000 fois et est suivi de nombreux commentaires, dont certains haineux et discriminants en raison de l’origine géographique, raciale, sociale ou ethnique, ou de la religion.
➔ Le CDJM invite donc les médias, lorsqu’ils corrigent des erreurs, toujours possibles, commises dans un acte journalistique, à veiller à ce que cette correction soit faite dans les plus brefs délais et sur tous les supports sur lesquels cette information a été diffusée.
Conclusion
Le CDJM, réuni le 9 janvier 2024 en séance plénière, estime que la règle déontologique d’exactitude n’a pas été respectée dans le message sur X (anciennement Twitter) renvoyant vers un article du Parisien pourtant profondément remanié.
La saisine est déclarée fondée.
Cet avis a été adopté par consensus.