Adopté en réunion plénière du 14 novembre 2023 (version PDF)
Description de la saisine
Le 13 avril 2023, M. Paul Sesboüé a saisi le CDJM à propos d’une interview de M. François Ruffin, député La France insoumise, diffusée sur Franceinfo le jour même et reprise sur le site de la chaîne au sein d’un article titré « LDH : “On comprend que le pouvoir n’aime pas les contre-pouvoirs”, lance François Ruffin ».
M. Sesboüé formule le grief de non-respect de l’exactitude et de la véracité, reprochant au journaliste M. Marc Fauvelle d’« induire les téléspectateurs en erreur » lorsqu’il affirme que la Ligue des droits de l’Homme (LDH) a « attaqué la décision d’interdire les armes ». Cette remarque faisait référence au recours introduit par cette association contre un arrêté de la préfecture des Deux-Sèvres en prévision de manifestations contre la construction de bassines de retenue d’eau à Sainte-Soline.
Le requérant reproche à M. Fauvelle de ne pas mentionner que la décision préfectorale prévoyait « l’interdiction du port et du transport d’armes par destination, c’est-à-dire de n’importe quel objet ». M. Sesboüé regrette qu’il ne soit pas dit à l’antenne que « cet arrêté permettait l’interpellation de toute personne transportant un objet, quel qu’il soit », ce qui « laisse entendre que la LDH essaierait de favoriser le port d’armes ».
Règles déontologiques concernées
Les textes déontologiques auxquels le CDJM se réfère précisent les obligations du journaliste.
- Il « tient l’esprit critique, la véracité, l’exactitude, l’intégrité, l’équité, l’impartialité, pour les piliers de l’action journalistique ; tient l’accusation sans preuve, l’intention de nuire, l’altération des documents, la déformation des faits, le détournement d’images, le mensonge, la manipulation, la censure et l’autocensure, la non-vérification des faits, pour les plus graves dérives professionnelles », selon la Charte d’éthique professionnelle des journalistes (SNJ, 1918/1938/2011).
- Il doit « respecter la vérité, quelles qu’en puissent être les conséquences pour lui-même, et ce, en raison du droit que le public a de connaître », selon le devoir no 1 de la Déclaration des droits et devoirs des journalistes (Munich, 1971).
- Il doit « respecter les faits et le droit que le public a de les connaître », selon l’article 1 de la Charte d’éthique mondiale des journalistes (FIJ, 2019 ).
Réponse du média mis en cause
Le 19 avril 2023, le CDJM a proposé au requérant, par courriel, de réaliser une médiation avec la rédaction de Franceinfo, ce qu’il a accepté. Cette proposition n’a pas été retenue par le média, qui n’a pas répondu à la demande du CDJM.
La saisine, étant recevable selon les critères définis à l’article 1 du règlement intérieur du CDJM, a suivi alors le processus d’analyse prévu par les articles 3, 4, 5 et 6 de ce règlement intérieur.
Le 12 mai 2023, le CDJM a adressé à M. Alexandre Kara, directeur de l’information de France Télévisions, avec copie à M. Marc Fauvelle, journaliste, un courrier les informant de cette saisine et les invitant à faire connaître leurs observations, comme le prévoit le règlement du CDJM, dans un délai de quinze jours. À la date du 14 novembre 2023, aucune réponse n’est parvenue au CDJM.
Analyse du CDJM
➔ Cette saisine porte sur un passage de l’entretien avec M. François Ruffin, député La France insoumise, diffusé lors de la matinale de la chaîne et conduit par Mme Salhia Brakhlia et M. Marc Fauvelle. Dans l’extrait concerné, les deux journalistes demandent à l’élu de réagir aux déclarations de Mme Élisabeth Borne, qui avait critiqué au Sénat certaines prises de position de la Ligue des droits de l’Homme (LDH).
À 1 min 24 s de la vidéo intégrée à l’article mis en ligne le 13 avril, M. Ruffin rappelle que le propos de la Première ministre est lié au rôle joué par cette association lors de la manifestation du 25 mars 2023 contre le projet de bassine de retenue d’eau à Sainte-Soline (Deux-Sèvres), et des affrontements avec la police qui ont suivi – ses représentants étaient présents sur place comme observateurs. M. Fauvelle l’interrompt alors brièvement pour expliquer « qu’elle [la LDH, ndlr] a attaqué la décision d’interdire les armes ».
➔ M. Paul Sesboüé considère dans sa saisine que cette précision ajoutée par le journaliste est erronée :
« […] L’arrêté visé mentionnait l’interdiction du port et du transport d’armes par destination, c’est-à-dire de n’importe quel objet. Il omet de dire que cet arrêté permettait l’interpellation de toute personne transportant un objet, quel qu’il soit. »
Le requérant ajoute que « le journaliste passe également sous silence que le référé de la LDH s’appuie sur une décision du Conseil d’État de 1995 qui avait jugé une telle mesure abusive et contraire au respect des droits fondamentaux ».
Il conclut que « le journaliste laisse entendre que la LDH essaierait de favoriser le port d’armes » et que « volontairement ou non, [il] présente une version trompeuse des faits ».
➔ Le CDJM constate que le référé-liberté déposé par la Ligue des droits de l’Homme dont il est question dans l’entretien contestait la décision prise par la préfecture des Deux-Sèvres, dans un arrêté daté du 17 mars 2023, d’interdire temporairement dans une série de communes « le port et le transport d’armes, toutes catégories confondues, de munitions et d’objets pouvant constituer une arme par destination ». Plusieurs médias ont rapporté que ce recours portait spécifiquement sur les armes par destination, et non sur les autres armes. C’est d’ailleurs ce que fait Franceinfo dans un article de la rubrique « Le vrai du faux » de son site publié le 14 avril 2023.
L’article 132-65 du code pénal définit la notion d’armes par destination, qui inclut « tout […] objet susceptible de présenter un danger pour les personnes […] dès lors […] qu’il est destiné, par celui qui en est porteur, à tuer, blesser ou menacer ». Le site d’informations juridiques Dalloz explique dans une note que « de nombreux objets, tous plus insolites les uns que les autres, ont été reconnus comme des armes par destination (un trousseau de clés, un tesson de bouteille, un bâton, une tronçonneuse en marche, un tabouret de bar, un pavé, un casque de motocycliste… ». Dans un communiqué publié le 5 avril 2023, la LDH explique que l’arrêté préfectoral qu’elle a attaqué « méconnaissait la jurisprudence du Conseil constitutionnel refusant l’extension a priori de la notion d’arme à tout objet pouvant être utilisé comme projectile ».
➔ Le CDJM considère donc que l’information rapportée par M. Fauvelle lors de l’entretien est inexacte. On peut concevoir que, lors d’un entretien réalisé en direct, il soit difficile pour son animateur d’apporter à tout moment l’ensemble des informations nécessaires à la bonne compréhension de l’échange – par exemple, de rappeler ce que recouvre la notion d’« armes par destination » ou la jurisprudence dans ce domaine. Cependant, présenter la démarche juridique de la LDH comme une volonté d’« attaquer la décision d’interdire les armes » est davantage qu’un raccourci, puisqu’elle présente au public de façon erronée les motivations de l’association, qui plus est dans un contexte tendu de polémique avec des responsables politiques.
➔ Le CDJM regrette que le média n’ait pas donné suite à la proposition de médiation que le requérant avait acceptée, et qui aurait pu déboucher, par exemple, sur l’ajout d’un bref rectificatif à l’article concerné. Les trois chartes sur lesquelles le Conseil fonde son travail font en effet de la correction des erreurs un impératif déontologique. La Charte d’éthique mondiale des journalistes prévoit ainsi que le journaliste s’efforce « par tous les moyens de rectifier de manière rapide, explicite, complète et visible toute erreur ou information publiée qui s’avère inexacte ».
Conclusion
Le CDJM, réuni le 14 novembre 2023 en séance plénière, estime que l’obligation déontologique de respect de l’exactitude et de la véracité n’a pas été respectée par Franceinfo.
La saisine est déclarée fondée.
Cette décision a été prise par consensus.