Avis sur la saisine n° 23-071

Adopté en réunion plénière du 10 octobre 2023 (version PDF)

Description de la saisine

Le 4 juillet 2023, M. Emile Kowalski a saisi le CDJM à propos du contenu de l’émission « Face à l’info » diffusée à 19 heures le 27 juin 2023. Il formule un grief : non-respect de l’exactitude et de la véracité des faits. M. Kowalski estime que Mme Charlotte d’Ornellas se trompe factuellement lorsqu’elle dit que le jeune Nahel M., tué à Nanterre le jour même, avait « un casier déjà long et [était] très connu des services de police » (à 54 min 30 s du replay).

M. Kowalski considère que « le fait [que Nahel M.] soit “connu des services de police”, ce qui en soi ne veut pas dire grand chose, ou le fait qu’il devait comparaître en septembre devant le juge des enfants, ne se confond pas avec le fait qu’il ait des mentions sur son casier judiciaire (ce qui signifierait qu’une condamnation pénale a été prononcée à son égard) ».

Il estime que « cette inexactitude est d’autant plus problématique qu’elle concerne un enfant défunt, sujet qui aurait mérité un peu de rigueur journalistique, et qu’elle a ensuite été reprise sur les réseaux sociaux et continue de circuler ». Le requérant affirme, par ailleurs, que « cette information erronée a malheureusement ensuite été diffusée sur les réseaux sociaux et n’a jamais été rectifiée par la chaîne ».

Recevabilité

Journaliste, Mme Charlotte d’Ornellas intervient régulièrement sur l’antenne de CNews. Dans le sommaire de l’émission, la présentatrice, Christine Kelly, parle de « l’analyse de Charlotte d’Ornellas » (sur un autre sujet que la mort de Nahel M.). Elle est bien identifiée comme une voix de CNews et non comme une invitée. Ses propos constituent bien un acte journalistique qui engage la responsabilité de CNews.

Règles déontologiques concernées

Les textes déontologiques auxquels le CDJM se réfère précisent les obligations du journaliste.

  • Il « tient l’esprit critique, la véracité, l’exactitude, l’intégrité, l’équité, l’impartialité, pour les piliers de l’action journalistique ; tient l’accusation sans preuve, l’intention de nuire, l’altération des documents, la déformation des faits, le détournement d’images, le mensonge, la manipulation, la censure et l’autocensure, la non-vérification des faits, pour les plus graves dérives professionnelles », selon la Charte d’éthique professionnelle des journalistes (SNJ, 1918/1938/2011).
  • Il doit « respecter la vérité, quelles qu’en puissent être les conséquences pour lui-même, et ce, en raison du droit que le public a de connaître », selon la Déclaration des droits et devoirs des journalistes (Munich, 1971, devoir n° 1).
  • Il doit « respecter les faits et le droit que le public a de les connaître », selon la Charte d’éthique mondiale des journalistes (FIJ, 2019, article 1).
  • Il s’assure que « la notion d’urgence ou d’immédiateté dans la diffusion de l’information ne [prévale] pas sur la vérification des faits, des sources et/ou l’offre de réplique aux personnes mises en cause », selon la Charte d’éthique mondiale des journalistes (FIJ, 2019, article 5).
  • Il « fait en sorte de rectifier rapidement toute information diffusée qui se révèlerait inexacte », selon la Charte d’éthique professionnelle des journalistes (SNJ, 1918/1938/2011).
  • Il « rectifie toute information publiée qui se révèle inexacte », selon la Déclaration des droits et devoirs des journalistes (Munich, 1971, devoir no 6).
  • Il s’efforce « par tous les moyens de rectifier de manière rapide, explicite, complète et visible toute erreur ou information publiée qui s’avère inexacte », selon la Charte d’éthique mondiale des journalistes (FIJ, 2019, article 6).

Réponse du média mis en cause

Le 13 juillet 2023, le CDJM a adressé à M. Thomas Bauder, directeur de la rédaction de CNews, avec copie à Mme Charlotte d’Ornellas, journaliste, un courrier les informant de cette saisine et les invitant à faire connaître leurs observations, comme le prévoit le règlement du CDJM, dans un délai de quinze jours.

Le 27 septembre 2023, Mme d’Ornellas a répondu au CDJM par courriel : « J’accorde une telle importance aux bonnes pratiques professionnelles et à l’indispensable dialogue avec le public que je me suis précisément corrigée moi-même le lendemain dans la même émission, pour informer précisément nos auditeurs. J’ai fait une confusion entre des antécédents judiciaires et un casier judiciaire, c’était mon erreur, elle a été rectifiée. »

Analyse du CDJM

➔ Le 27 juin vers 8 h 15, Nahel M., un mineur de 17 ans, est touché mortellement par un tir de policier lors d’un contrôle routier à Nanterre, alors qu’il est au volant d’une voiture. Une vidéo de cet événement commence à tourner sur les réseaux sociaux une heure plus tard. La journaliste Mme Charlotte d’Ornellas, sur CNews, est invitée à livrer son analyse le jour même. Au cours de son commentaire, elle évoque le « casier [judiciaire] long » de la victime qui est, selon elle, « très connu des services de police ».

Le casier judiciaire de Nahel M., selon la réaction de l’avocat de sa famille, étant vierge de toute condamnation, la journaliste corrige son erreur le 28 juin à l’antenne de CNews :

« […] aucune personne ne va expliquer que c’est parce qu’il avait je-ne-sais-combien de mentions, parce qu’il était connu de la police, ou de la justice, qu’il méritait de mourir, explique-t-elle. Et d’ailleurs cette raison ne tient évidemment pas, ni devant la hiérarchie, ni devant la justice, pour la simple et bonne raison d’ailleurs que quand vous l’avez sous les yeux, vous ne savez pas nécessairement quel est le casier ou pas de cet homme. Alors hier, en effet, j’ai parlé de casier judiciaire, l’avocat nous a fait savoir qu’il n’en avait pas. Il n’a pas de casier judiciaire, il y a des mentions, mais il n’a pas de casier. Alors je vais aller un peu plus loin qu’hier : c’est pire… »

Mme d’Ornellas explique ensuite les raisons pour lesquelles, selon elle, il est « pire » qu’il y eut des « mentions » et pas de condamnations

Sur l’inexactitude et l’atteinte à la véracité des faits

➔ Le CDJM rappelle tout d’abord qu’un commentaire journalistique est libre, mais qu’il doit respecter la vérité des faits sur lesquels il s’appuie. Dans une affaire aussi sensible, chacun des mots utilisés par un journaliste doit être juste. Les expressions « avoir des antécédents judiciaires », « être (très) connu des services de police », « être défavorablement connu de la police ou de la justice » sont des phrases qui peuvent prêter à interprétation pour le public car leur signification est imprécise. En revanche, « avoir un casier », et a fortiori, « avoir un casier déjà long » est une notion parfaitement compréhensible du public et correspond à une information précise, concrète et vérifiable.

Or, il ressort de la consultation des enquêtes de presse par le CDJM que les éléments transmis aux médias par le parquet de Nanterre ont porté sur « le décès [d’une personne] âgée de 17 ans et connue des services de la justice, notamment pour un refus d’obtempérer » et qu’ils n’ont jamais fait état de l’existence de condamnations inscrites aux bulletins B2 (délivré aux administrations et à certains employeurs) et B3 (délivré sur demande de la personne concernée) du casier judiciaire de l’adolescent décédé (cf., par exemple, le long article du service CheckNews de Libération sur le sujet). Tout au plus ont-ils laissé penser qu’une mesure éducative avait été prononcée et mentionnée au bulletin B1 (qui est réservé aux services judiciaires).

L’information donnée par Mme d’Ornellas (« un casier déjà long ») était donc, comme le dit le requérant, et comme l’a reconnu la journaliste, factuellement fausse, de sorte que le CDJM considère que CNews a enfreint la règle déontologique d’exactitude et de respect de la véracité des faits. Le CDJM rappelle également que, selon les chartes auxquelles il se réfère, la notion d’urgence ou d’immédiateté dans la diffusion de l’information ne doit pas prévaloir sur la vérification des faits et des sources.

Sur la rectification de l’erreur

➔ La réponse de Mme d’Ornellas a permis au CDJM d’apprendre et de constater qu’elle avait rectifié son erreur dès le lendemain de son intervention et qu’elle avait donc respecté l’obligation déontologique faite au journaliste de rectifier rapidement une information qui se révèle inexacte – ce que le requérant semble avoir ignoré.

Cependant, le CDJM constate que l’émission où l’erreur a été prononcée est toujours disponible en ligne dans la section replay du site de CNews et que cette vidéo n’est accompagnée d’aucune mention précisant qu’elle contient une erreur, ni que celle-ci a été rectifiée dans l’émission du lendemain.

En conséquence, le CDJM estime que l’éditeur CNews a enfreint la règle déontologique qui impose, en matière d’information, de « [s’efforcer] par tous les moyens de rectifier de manière rapide, explicite, complète et visible toute erreur ou information publiée qui se révèle inexacte », comme l’énonce la Charte d’éthique mondiale des journalistes (FIJ, 2019, article 6).

Conclusion

Le CDJM, réuni le 10 octobre 2023 en séance plénière, estime que CNews a enfreint la règle déontologique d’exactitude et de respect de la véracité des faits, ainsi que celle qui oblige à rectifier explicitement et de façon visible une erreur, mais constate que Mme Charlotte d’Ornellas a respecté celle qui oblige chaque journaliste à rectifier rapidement, le cas échéant, une information qui se révèle inexacte.

La saisine est déclarée partiellement fondée.

Cette décision a été prise à l’issue d’un vote, à la majorité (17 voix pour « partiellement fondée », 9 voix pour « fondée »).

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