Avis sur la saisine n° 23-048

Adopté en réunion plénière du 12 septembre 2023 (version PDF)

Description de la saisine

Le 17 juin 2023, M. Vincent Vigé a saisi le CDJM à propos du contenu d’une séquence « Désintox » intitulée « De majestueux menhirs sacrifiés pour un magasin de bricolage ? », diffusée la veille par Arte dans l’émission « 28 minutes ». Il formule le grief de non-respect de l’exactitude et de la véracité des faits.

Selon lui, « les responsables éditoriaux de “Désintox” ont volontairement écarté des éléments de contexte essentiels à la compréhension de l’affaire (suggérant qu’il s’agirait d’une polémique qui n’a pas lieu d’être, alors qu’affaire il y a, et qu’elle est toujours en cours) », car « le problème, toujours selon lui, n’est pas que certains aient repris des photos qui ne correspondent pas au bon site [de menhirs] ».

« Ce qui me dérange profondément, explique le requérant, est que le téléspectateur (ainsi que l’internaute visitant l’ensemble des médias sociaux de la chaîne Arte), s’il ne visionne que cette rubrique vidéo (et seulement cette rubrique vidéo), n’aura pas accès à l’ensemble des événements et contextes entourant l’affaire et pourrait être amené à croire [qu’]il n’y a pas eu de destruction de patrimoine historique (ce que, dans les faits, on ne sait pas et ne saura jamais). »

Règles déontologiques concernées

Les textes déontologiques auxquels le CDJM se réfère précisent les obligations du journaliste :

  • Il « tient l’esprit critique, la véracité, l’exactitude, l’intégrité, l’équité, l’impartialité, pour les piliers de l’action journalistique ; tient l’accusation sans preuve, l’intention de nuire, l’altération des documents, la déformation des faits, le détournement d’images, le mensonge, la manipulation, la censure et l’autocensure, la non-vérification des faits, pour les plus graves dérives professionnelles », selon la Charte d’éthique professionnelle des journalistes (SNJ, 1918/1938/2011).
  • Il doit « respecter la vérité, quelles qu’en puissent être les conséquences pour lui-même, et ce, en raison du droit que le public a de connaître », selon la Déclaration des droits et devoirs des journalistes (Munich, 1971, devoir n° 1).
  • Il doit « respecter les faits et le droit que le public a de les connaître », selon la Charte d’éthique mondiale des journalistes (FIJ, 2019, article 1).
  • Il « ne rapportera que des faits dont il/elle connaît l’origine, ne supprimera pas d’informations essentielles et ne falsifiera pas de documents. Il/elle sera prudent dans l’utilisation des propos et documents publiés sur les médias sociaux », selon la Charte d’éthique mondiale des journalistes (FIJ, 2019, article 3).
  • Il « considérera comme fautes professionnelles graves le plagiat, la distorsion des faits, la calomnie, la médisance, la diffamation, les accusations sans fondement », selon la Charte d’éthique mondiale des journalistes (FIJ, 2019, article 10).

Réponse du média mis en cause

Le 24 juillet 2023, le CDJM a adressé à M. Boris Razon, directeur éditorial d’Arte, avec copies à MM. Jérôme Caza, producteur (2P2L) et M. Cédric Mathiot, journaliste à Libération et réalisateur, un courrier les informant de cette saisine et les invitant à faire connaître leurs observations, comme le prévoit le règlement du CDJM. Le 10 août, M. Luc Peillon, journaliste au quotidien Libération (média qui coproduit la séquence « Désintox » avec P2PL en vue de sa diffusion sur Arte), a répondu à la saisine.

M. Peillon rappelle d’abord que le sujet abordé par « Désintox » a fait l’objet initialement d’un article rédigé par ses soins, diffusé le 9 juin 2023 sur le site de Libération, et intitulé « Menhirs détruits à Carnac : ces photos impressionnantes, mais hors sujet, qui ont inondé la presse ». Il explique que « l’angle de ce papier (et globalement de la pastille Arte, même s’il s’agissait d’un résumé) concernait l’emballement, voire la manipulation de l’opinion publique autour de cette affaire, via une illustration de la quasi totalité des sujets presse avec des photos de menhirs qui n’avaient absolument rien à voir avec les vrais “menhirs” concernés ».

Il ajoute que « sur le fond également, [il est] impossible, comme l’auteur de la plainte le reconnaît lui-même, de qualifier ces menhirs d’historiquement remarquables ». M. Peillon cite un communiqué de la Direction régionale des affaires culturelles (Drac) de Bretagne du 7 juin 2023, utilisé dans la séquence en cause, qui concluait : « Du fait du caractère encore incertain et dans tous les cas non majeurs des vestiges tels que révélés par le diagnostic, l’atteinte à un site ayant une valeur archéologique n’est pas établie. »

« Il y a donc bien eu manipulation de l’opinion via des illustrations largement erronées, pour des pierres dont la valeur archéologique n’a jamais été prouvée, conclut M. Peillon. La pastille et le papier d’Arte ne disent rien d’autre que cela ».

Analyse du CDJM

➔ La séquence « Désintox » intitulée « De majestueux menhirs sacrifiés pour un magasin de bricolage ? », diffusée par Arte le 16 juin 2023 dans l’émission « 28 minutes », est un sujet télévisé de 1 min 35 s qui analyse la façon dont différents médias ont illustré l’affaire du démantèlement de trente-neuf mégalithes à Carnac pour construire un magasin de bricolage, dont la révélation a fait polémique au début de l’été.

Elle montre comment le quotidien 20 minutes, la chaîne d’information continue BFM TV ou l’homme politique Philippe de Villiers ont faussement illustré l’affaire sur X (anciennement Twitter), en utilisant des images de menhirs dressés n’ayant rien à voir avec le site du magasin de bricolage concerné.

La séquence expose ensuite le communiqué de la Direction régionale des affaires culturelles (Drac) de Bretagne du 7 juin 2023. La voix off indique qu’il « rappelait qu’un diagnostic du site en 2015 n’avait trouvé aucun vestige archéologique [et qu’il] n’évoquait que la découverte de deux anciennes clôtures faites de blocs dressés sans qu’il soit possible de définir leur nature ». Avant de conclure : « L’iconographie, dans cette affaire, a été pour le moins trompeuse. »

➔ À l’appui de son grief, le requérant fait valoir des arguments qu’il indique avoir déjà diffusés dans un commentaire posté sur Internet :

« Une simple recherche internet permet de retrouver l’article de Ouest-France du 7 juin (et les suivants) où l’on apprend que [l’affaire des mégalithes détruits] n’est pas du tout aussi simple. Vous [l’équipe de “Désintox”, ndlr] “oubliez” (volontairement ou non ?) de préciser que le site a par deux fois fait partie d’une liste de sites pressentis pour déposer une candidature à l’Unesco, qu’en 2015 un premier permis avait été refusé, qu’entre temps (je résume à très gros traits) les règles du nouveau PLU [plan local d’urbanisme, ndlr] ont changé, que la Drac s’est appuyée sur ces nouveaux critères pour ne pas commander de fouilles préventives, que le lanceur d’alerte local, président de l’association de protection du patrimoine historique local, a porté plainte pour savoir comment ça a pu à ce point dysfonctionner mais surtout pour savoir comment faire pour ne plus que ce type de couac ne se reproduise… (et au passage on apprend aussi que les critères de risques d’inondation de la zone où s’est implanté le magasin ont aussi légèrement bougé)… »

➔ Le CDJM constate que la séquence « Désintox » incriminée ne relève pas d’une enquête traitant le sujet sur le fond dans sa complexité. Le sujet abordé et l’angle journalistique choisi ne portent pas sur l’existence ou non de menhirs et leur potentielle destruction en vue de l’édification et l’exploitation d’un commerce, mais sur l’utilisation par certains des médias qui ont choisi de relater cette affaire d’illustrations volontairement exagérées, voire trompeuses — médias qui pourraient d’ailleurs se voir reprocher une faute déontologique sur cette pratique.

L’angle choisi par Libération dans la rubrique CheckNews, en partie repris dans la séquence d’Arte comme le rappelle M. Peillon dans sa réponse au CDJM, était de dénoncer l’utilisation courante et facile d’une illustration prétexte, laquelle suscite une distorsion dans la compréhension d’un sujet – en l’occurrence la destruction d’un site du fait de l’attribution d’un permis de construire non soumis à des fouilles complémentaires préalables. Arte alerte ainsi l’internaute sur une pratique courante : un titre illustré d’images reflétant une situation de fait qui n’est pas conforme à la réalité. L’objet de l’acte journalistique incriminé est d’alerter le lecteur sur ces pratiques.

Le CDJM rappelle que la définition d’un angle relève d’un choix éditorial et qu’il ne peut y avoir de faute déontologique à évoquer ainsi une partie d’une actualité et non son intégralité, en définissant un angle – restreint ici à la question des illustrations trompeuses. Même si l’on peut regretter, avec le requérant, que le lecteur pressé puisse en déduire qu’il n’y a pas de sujet derrière cette polémique sur le saccage possible de mégalithes. En ce sens, une simple phrase évoquant la complexité du problème soulevé (telle que révélée dans l’article de Sindbad Hammache, « Comprendre l’affaire des menhirs de Carnac », publié par Le Journal des arts, n° 615, 7 juillet 2023) aurait pu donner à l’internaute curieux une piste lui permettant de compléter son approche du sujet.

Le CDJM considère que le grief d’inexactitude et d’atteinte à la véracité des faits n’est pas fondé.

Conclusion

Le CDJM réuni le 12 septembre 2023 en séance plénière estime qu’Arte et les journalistes de Libération n’ont pas enfreint la règle déontologique d’exactitude et de respect de la véracité des faits.

La saisine est déclarée non fondée.

Cette décision a été prise par consensus.

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