Adopté en réunion plénière du 11 juillet 2023 (version PDF)
Description de la saisine
Le 13 mai 2023, M. Olivier Guichardaz a saisi le CDJM à propos d’une dépêche de l’Agence France-Presse (AFP) intitulée « Démarrage des quatre nouvelles filières de recyclage des déchets du bâtiment », datée du 30 avril 2023 à 15h05. Il formule deux griefs : non-respect de l’exactitude et de la véracité des faits et non rectification d’une erreur.
M. Olivier Guichardaz – dont le CDJM note qu’il est journaliste spécialisé dans la gestion des déchets – estime que « la dépêche, reproduite par de nombreux médias (dont France Info, dans un article intitulé « Environnement : quatre nouvelles filières de recyclage des déchets du bâtiment démarrent le 1er mai »), est très imprécise et comprend plusieurs erreurs factuelles », qu’il détaille ainsi :
• « Le titre de la dépêche est erroné, car il fait la confusion entre « filière » et « éco-organismes ». Le 1er mai, ce ne sont pas « quatre filières » qui ont démarré, mais « quatre éco-organismes » de la même filière — celle dite des « produits et matériaux de construction du secteur du bâtiment » (dite filière PMCB). [Et dans] la réalité, les quatre éco-organismes n’ont pas réellement démarré le 1er mai. Ils sont agréés depuis l’automne dernier et, selon les pouvoirs publics, ils doivent percevoir les « éco-contributions » payées par les metteurs en marché (les « producteurs ») depuis le 1er janvier, fût-ce de manière rétroactive. Ce qui a démarré le 1er mai, c’est l’obligation effective de reprise sans frais des déchets du bâtiment, sur les points de reprise qui sont ouverts. (…) ».
• « La description des secteurs couverts par les éco-organismes est, pour deux d’entre eux [NDLR: Ecomaison et Valdelia], totalement erronée, en tout cas telle que présentée. Par exemple, la dépêche indique qu’”Ecomaison […] s’occupera de matériaux tels que les meubles, la literie, les jouets et les outils”. [Or] premièrement, sur le plan du vocabulaire, “les meubles, la literie, les jouets et les outils” ne sont pas à proprement parler des “matériaux”. Ce sont des produits, composés de divers matériaux (bois, plastiques, métaux…). Deuxièmement, oui, Ecomaison est aussi agréé par les pouvoirs publics pour s’occuper des meubles, de la literie, des jouets et des outils. Mais la dépêche porte sur les « déchets du bâtiment » (comme indiqué dans son titre).
• « La dépêche indique que “3 000 déchetteries publiques devraient aussi être intégrées au dispositif, après la signature d’un accord avec la société Ocab”. Cela peut laisser croire que l’accord avec la société Ocab a d’ores et déjà été signé. Or il n’en était rien à la date de publication de la dépêche et il n’en est toujours rien à ce jour [NDLR: le 13 mai 2023]. […] D’autre part, ce passage de la dépêche (« 3 000 déchetteries publiques devraient aussi être intégrées au dispositif, après la signature d’un accord avec la société Ocab ») peut laisser croire qu’il n’y aurait qu’un seul accord à signer avec l’Ocab pour que les « 3 000 déchetteries » soient intégrées au dispositif. Or il n’en est rien. »
M. Guichardaz précise, enfin, avoir interpellé, en vain, l’AFP via LinkedIn et Twitter, puis avoir eu un bref entretien téléphonique avec l’auteure de la dépêche, qui n’a pu se concrétiser par une réelle prise de contact, ni aboutir à la diffusion d’un rectificatif.
Règles déontologiques concernées
Les textes déontologiques auxquels le CDJM se réfère précisent les obligations du journaliste.
- Il « tient l’esprit critique, la véracité, l’exactitude, l’intégrité, l’équité, l’impartialité, pour les piliers de l’action journalistique ; tient l’accusation sans preuve, l’intention de nuire, l’altération des documents, la déformation des faits, le détournement d’images, le mensonge, la manipulation, la censure et l’autocensure, la non-vérification des faits, pour les plus graves dérives professionnelles », selon la Charte d’éthique professionnelle des journalistes (SNJ, 1918/1938/2011).
- Il doit « respecter la vérité, quelles qu’en puissent être les conséquences pour lui-même, et ce, en raison du droit que le public a de connaître », selon la Déclaration des droits et devoirs des journalistes (Munich, 1971, devoir n°1).
- Il doit « respecter les faits et le droit que le public a de les connaître », selon la Charte d’éthique mondiale des journalistes (FIJ, 2019, article 1).
- Il « fait en sorte de rectifier rapidement toute information diffusée qui se révèlerait inexacte », selon la Charte d’éthique professionnelle des journalistes (SNJ, 1918/1938/2011).
- Il « rectifie toute information publiée qui se révèle inexacte », selon la Déclaration des droits et devoirs des journalistes (Munich, 1971, devoir no 6).
- Il « s’efforcera par tous les moyens de rectifier de manière rapide, explicite, complète et visible toute erreur ou information publiée qui s’avère inexacte » selon la Charte d’éthique mondiale des journalistes (FIJ, 2019, article 6).
(Cf. par ailleurs la recommandation du CDJM : Rectification des erreurs : les bonnes pratiques)
Réponse du média mis en cause
Le 19 juin 2023, le CDJM a adressé à M. Phil Chetwyn, directeur de la rédaction de l’AFP, avec copie à Mme Isabel Malsang, journaliste, un courrier les informant de cette saisine et les invitant à faire connaître leurs observations, comme le prévoit le règlement du CDJM.
Le 27 juin 2023, M. Raphaël Hermano, rédacteur en chef France, a répondu que « la dépêche en cause, qui n’est pas destinée à une audience de spécialistes du secteur des déchets mais au grand public, comprend des formules générales, puisque l’AFP est un média généraliste »; qu’il est « [difficile d’] exposer de façon exhaustive tous les méandres du secteur des déchets, ce qui peut frustrer des lecteurs très spécialisés »; et qu’il considère que « cette dépêche n’induit pas le public en erreur ». « Enfin », indique M. Hermano, « notre journaliste (…) a vu que M. Guichardaz l’interpellait en direct sur les réseaux sociaux, sans se présenter sous son nom, mais en utilisant l’emblème du média Déchets info. Elle n’a pas souhaité répondre publiquement. M. Guichardaz a essayé de l’appeler par téléphone, ils ont entamé une conversation qui a été coupée pour une raison inconnue, et qui n’a pas été reprise ensuite. »
M. Raphaël Hermano écrit en conclusion que l’AFP se tient à la disposition du requérant pour revenir sur le sujet à l’avenir, compte tenu de son expertise.
Analyse du CDJM
➔ La dépêche de l’AFP mise en cause expose la mise en place d’un dispositif de la loi du 10 février 2020 dite loi anti gaspillage pour une économie circulaire (Agec), dispositif fondé sur le principe du « pollueur payeur ».
Sous le titre « Démarrage des quatre nouvelles filières de recyclage des déchets du bâtiment », elle évoque dans le premier paragraphe « quatre nouvelles filières de recyclage [qui] démarrent le 1er mai en France » puis, dans le paragraphe suivant, cite le démarrage des quatre éco-organismes agréés pour piloter la collecte, le tri et le recyclage, en détaillant les catégories de déchets qu’elles auront à prendre en charge. Enfin, elle explique qu’un des éco-organismes est en train de déployer 1 000 points de reprise de déchets minéraux, mais que 3 000 déchetteries devraient être incluses dans le dispositif après la signature d’un accord avec la société OCAB.
➔ En premier lieu, le requérant soutient que cette dépêche de l’AFP entretiendrait une confusion entre la notion de « filières » et celle d’ « éco organismes ». Il explique : « La distinction entre “filière” (qui peut regrouper plusieurs éco-organismes, et qui concerne une famille de produits) et “éco-organisme” (qui peut être agréé sur plusieurs filières, ou sur une seule, selon les cas), figure dans toute la communication faite sur ce secteur, y compris dans les arrêtés d’agrément des éco-organismes (publiés au Journal officiel), sur le site Internet du ministère de la transition écologique (MTE), sur celui de l’Ademe [Agence de la transition écologique] et dans la presse spécialisée […] ».
Ensuite, toujours selon le requérant, la dépêche comporterait une erreur concernant la date de démarrage de ces éco-organismes, ainsi que sur celle du début de l’éco-contribution, c’est-à-dire la taxe prélevée à la source sur la vente des matériaux. « [Dans] la réalité, estime M. Guichardaz, les quatre éco-organismes n’ont pas réellement démarré le 1er mai. Ils sont agréés depuis l’automne dernier et, selon les pouvoirs publics, ils doivent percevoir les “éco-contributions” payées par les metteurs en marché (les “producteurs”) depuis le 1er janvier, fût-ce de manière rétroactive. Ce qui a démarré le 1er mai, c’est l’obligation effective de reprise sans frais des déchets du bâtiment, sur les points de reprise qui sont ouverts. (…) »
Pour vérifier la véracité du grief d’inexactitude, le CDJM a consulté les textes légaux, notamment celui de la loi Agec, le site de l’Ademe, les revues de la Fédération française du bâtiment (FFB), ainsi que ceux des éco-organismes cités dans la dépêche : Ecominero, Ecomaison, Valdelia, Valobat.
Il ressort de cette consultation, facile à effectuer, que ce ne sont pas, en effet, quatre nouvelles « filières » de recyclage du bâtiment qui démarrent, mais bien quatre « éco-organismes » de la filière à responsabilité élargie du producteur (REP) Bâtiment, qui ont démarré le 1er mai, même si la filière REP Bâtiment ne peut démarrer qu’à la condition que les quatre éco-organismes soient actifs. Une filière n’est pas un éco-organisme, et cette erreur est reprise dans le premier paragraphe. Il n’y a donc pas quatre nouvelles filières de recyclage des déchets du bâtiment contrairement à ce qui est écrit dans la dépêche de l’AFP, mais quatre nouveaux éco-organismes. La confusion peut être réelle car, juste après dans la dépêche, le terme de « filière » laisse place à celui d’« éco-organisme ».
Le CDJM relève donc un manque de rigueur dans le vocabulaire utilisé par l’AFP dans cette matière technique, alors même qu’il estime nécessaire pour la fiabilité de l’information délivrée par l’agence que celle-ci fasse usage de mots justes. Le CDJM considère que le grief d’inexactitude, sur ce point, est fondé.
S’agissant cependant de l’affirmation de M. Guichardaz selon laquelle « les quatre éco-organismes n’ont pas réellement démarré le 1er mai car ils sont agréés depuis l’automne et auraient pu percevoir les éco-contributions depuis le 1er janvier », le CDJM estime, d’une part, qu’« agrément » ne signifie pas « démarrage ». Il note, d’autre part, que l’application de la REP Bâtiment a été prévue par la loi pour 2023 et que l’éco-contribution n’est obligatoire qu’à partir du 30 avril de cette année-là. Le CDJM considère qu’en conséquence, dire que la filière a démarré le 1er mai correspond à la réalité des faits. Le grief d’inexactitude n’est pas fondé sur ce point.
➔ En deuxième lieu, M. Guichardaz estime que « la description des secteurs couverts par les éco-organismes est, pour deux d’entre eux [Ecomaison et Valdelia], totalement erronée, en tout cas telle que présentée », et cela dans la mesure où « du mobilier, de la literie, des jouets et des outils [cités dans la dépêche] », ou du « mobilier de bureaux », « ne sont pas des déchets du bâtiment », tels que du béton, du plâtre, des briques, des tuiles, des huisseries, des revêtements de sols, de la plomberie, etc.
Après consultation de la liste des matériaux et produits figurant dans la loi, le CDJM constate que M. Guichardaz a raison et que la confusion dans la dépêche provient sans doute du fait que deux des éco-organismes cités par l’AFP comptent dans leur activité générale la récupération de ces produits, sans être pour autant concernés par la REP bâtiment. Le CDJM considère que le grief d’inexactitude est fondé sur ce point.
➔ En troisième lieu, M. Guichardaz estime qu’en indiquant que « 3 000 déchetteries publiques devraient aussi être intégrées au dispositif, après la signature d’un accord avec la société OCAB », la dépêche de l’AFP « laisse croire » qu’un accord avec la société OCAB a été signé, alors que « ce n’est pas le cas » et qu’en tout état de cause, « quand bien même cet accord en quelque sorte “politique” aurait été trouvé entre l’OCAB et les représentants des collectivités territoriales […], il faudra que chaque collectivité territoriale signe, avec l’OCAB, un contrat concernant ses déchetteries pour que celles-ci intègrent le dispositif ».
Sur ce point, et quand bien même la formulation grammaticale de l’AFP pourrait prêter à malentendu (par l’emploi de la préposition « après » préférée à la locution « après que »), le CDJM considère que l’information délivrée par l’AFP au conditionnel selon laquelle 3 000 déchetteries devraient être intégrées au dispositif ultérieurement, le cas échéant (après éventuellement accord, donc) n’est pas formellement inexacte et n’est pas de nature à induire le lecteur en erreur. Le grief d’inexactitude n’est pas fondé.
➔ Enfin, constatant qu’aucune rectification des erreurs relevées n’a été apportée par l’AFP sollicitée par le requérant, le CDJM estime que la règle déontologique de rectification des erreurs n’a pas été respectée.
Conclusion
Le CDJM, réuni le 11 juillet 2023 en séance plénière, estime que l’AFP a enfreint la règle déontologique d’exactitude sur deux des quatre passages mis en cause, ainsi que celle imposant la rectification des erreurs.
La saisine est déclarée partiellement fondée.
Cette décision a été prise par consensus.