Avis sur la saisine n° 23-009

Adopté en réunion plénière du 9 mai 2023 (version PDF)

Description de la saisine

Le 20 janvier 2023, M. Gaël Cerez, au nom du journal en ligne Mediacités dont il est rédacteur en chef de l’édition de Toulouse, a saisi le CDJM du contenu d’un article diffusés sur le site de France 3 Occitanie le 23 décembre 2022 sous le titre « Un quartier de Toulouse contaminé au plomb : “C’est la colère qui me réveille la nuit”, confie une victime enceinte ».

M. Gaël Cerez formule les griefs de plagiat et de non-citation d’un confrère. Il expose au CDJM que Mediacités Toulouse a publié le 14 décembre 2022 un article intitulé « Enceinte et contaminée au plomb, le combat d’une Toulousaine face à “une bombe à retardement” sanitaire ». Un « journaliste de France 3 Occitanie [a alors] contact[é] l’autrice de l’article de Mediacités pour lui demander le contact d’Elisabeth », la jeune femme citée dans l’article de Mediacités Toulouse. Il précise que cette dernière a transmis ce contact « avec l’accord de l’intéressée – dans une optique de partage de l’information sur un sujet de santé publique ».

M. Cerez écrit avoir constaté que l’article publié par France 3 Occitanie sur son site le 23 décembre 2022 reprenait « le témoignage d’Elisabeth, sans aucune mention de Mediacités ». À l’appui de sa saisine, il joint une copie d’écran d’un texto adressé le 27 décembre « aux auteurs de l’article et à leur rédaction en chef » dans lequel il s’étonne que des « informations publiées récemment par Mediacités soient reprises sans mention de leur origine ». Il affirme que, malgré cette démarche, « aucune mention n’a été ajoutée [à l’article de France Télévisions] pour préciser la source de l’information ».

Règles déontologiques concernées

Les textes déontologiques auxquels le CDJM se réfère précisent les obligations du journaliste :

  • Il « cite les confrères dont il utilise le travail, ne commet aucun plagiat », selon la Charte d’éthique professionnelle des journalistes (SNJ, 1918/1938/2011).
  • Il doit « s’interdire le plagiat, la calomnie, la diffamation, les accusations sans fondement ainsi que de recevoir un quelconque avantage en raison de la publication ou de la suppression d’une information » selon la Déclaration des droits et devoirs des journalistes (Munich, 1971, devoir no 8).
  • Il « considérera comme fautes professionnelles graves le plagiat, la distorsion des faits, la calomnie, la médisance, la diffamation, les accusations sans fondement », selon la Charte d’éthique mondiale des journalistes (FIJ, 2019, article 10).
  • Il « fera preuve de confraternité et de solidarité à l’égard de ses consœurs et de ses confrères, sans renoncer pour la cause à sa liberté d’investigation, d’information, de critique, de commentaire, de satire et de choix éditorial », selon la Charte d’éthique mondiale des journalistes (FIJ, 2019, article 12).
  • Il « garde le secret professionnel et protège les sources de ses informations », selon la Charte d’éthique professionnelle des journalistes (SNJ 1918-1938-2011).
  • Il doit « garder le secret professionnel et ne pas divulguer la source des informations obtenues confidentiellement », selon la Charte d’éthique mondiale des journalistes (FIJ, 2019, article 7).

Réponse du média mis en cause

Le 27 janvier 2023, le CDJM a adressé à M. Alexandre Kara, directeur de l’information de France Télévisions, avec copie à Mmes Pascale Lagorce, rédactrice en chef de France 3 Occitanie, Margaux Delaunay, journaliste, et M. Laurent Dubois, journaliste, un courrier les informant de cette saisine et les invitant à faire connaître leurs observations.

En réponse, dans un courrier daté du 21 février, M. Kara conteste que France Télévisions ait commis « une quelconque faute déontologique ». Il estime qu’« aucun fait de “plagiat, non-citation d’un confrère” ne peut être reproché à France Télévisions pour avoir publié dans son reportage télévisé et son article le témoignage d’Elisabeth, qui avait auparavant accordé une interview à Mediacités. » Selon lui, « le déroulement de l’enquête menée par les journalistes de France Télévisions et la comparaison des sujets litigieux le confirment ». Il livre ensuite un exposé circonstancié.

À propos de l’enquête réalisée par les journalistes de France Télévisions

M. Kara rappelle d’abord l’origine de l’information traitée par les deux médias : « Le 6 octobre 2022, l’Agence régionale de santé (ARS) et le préfet de la Haute-Garonne ont publié un communiqué conjoint alertant le public sur le niveau de pollution anormalement élevé des sols aux environs de l’ancienne usine STMC à Fondeyre à Toulouse. Le même jour, France Télévisions publiait un article à ce sujet afin de relayer l’information au public. »

Il évoque ensuite la parution de l’article de Mediacités, « le 14 décembre 2022 […], avec le témoignage d’Elisabeth, une riveraine du quartier de Fondeyre, enceinte et contaminée au plomb. Les journalistes de France Télévisions, et notamment M. Laurent Dubois, ont alors entrepris de vérifier cette information et ce témoignage, qui traitent d’un sujet d’intérêt général et d’actualité ».

Ont suivi des échanges entre M. Dubois et « le président du comité du quartier, M. Pierre Baggi ». Ce dernier ne disposant pas du numéro de téléphone d’Elisabeth, il renvoie M. Dubois vers Mme Magali Lacombe, auteure de l’article de Mediacités. « Dans un premier temps, la journaliste a refusé, poursuit M. Kara. Par la suite, elle a communiqué le numéro de M. Laurent Dubois à Elisabeth. C’est donc Elisabeth, en tant que témoin, qui a directement contacté M. Laurent Dubois et qui a choisi, le 19 décembre 2022, de témoigner devant les caméras de France Télévisions. »

Suivent alors la diffusion d’un reportage sur France 3 Occitanie, le 22 décembre 2022, et la publication de l’article objet de la saisine, sur le site de la chaîne, le 23 décembre 2022. Selon M. Kara, Mme Lacombe a alors « écrit un SMS à M. Laurent Dubois pour lui indiquer qu’elle regrettait qu’il n’y ait pas de “lien confraternel” dans l’article web de France Télévisions vers l’article de Mediacités. »

M. Kara avance que le déroulement de l’enquête ne rend pas nécessaire cette citation : « Les journalistes de France Télévisions ont respecté leur obligation de vérification de l’information, seule obligation en l’espèce à laquelle ils étaient soumis. C’est bien leur propre travail d’enquête qui a été publié, et il n’était donc en rien soumis à l’obligation de citation d’un confrère. »

À propos des deux articles publiés par Mediacités Toulouse et France 3 Occitanie

Comparant l’article initial de Mediacités Toulouse et celui objet de la saisine, M. Kara estime que « le seul point commun entre ces articles et le reportage est le témoignage d’Elisabeth ». En effet, « l’article de Mediacités commence par le témoignage d’Elisabeth, puis relate le témoignage de plusieurs médecins généralistes et fait état d’une réunion publique organisée par les habitants du quartier ». De son côté, « le reportage télévisé du 22 décembre 2022 de France 3 Occitanie est quant à lui composé des interviews d’Elisabeth, du président du comité de quartier, de M. Baggi, ainsi que du docteur Jacques Claverie ». Quant aux propos tenus par le témoin dans le reportage, M. Kara les reproduit afin de montrer leur différence avec ceux reproduits par Mediacités Toulouse. Il poursuit sa réponse en décrivant l’article publié le 23 décembre 2022 sur le site de France 3 Occitanie, objet de la saisine et « construit sur la même base que le reportage télévisé », indiquant que « cet article se différencie également de l’article de Mediacités, par son contenu, ainsi que par les images d’illustrations. »

M. Kara conclut ainsi cette partie de sa réponse :

« Le seul point commun entre ces articles et ce reportage est le sujet abordé, les faits et les propos qu’il rapporte. Pour autant, chaque journaliste traite à sa manière le même sujet en invitant différents interlocuteurs pour l’expliquer. Il n’y a aucune reprise exacte des textes entre eux. La comparaison des passages précédents révèle l’absence de tout plagiat. »

Analyse du CDJM

➔ Mediacités a publié le premier, le 14 décembre 2022, le témoignage d’une femme, prénommée Elisabeth, victime d’une contamination au plomb dans un quartier de Toulouse. Dans l’article intitulé « Enceinte et contaminée au plomb, le combat d’une Toulousaine face à “une bombe à retardement” sanitaire », entièrement anglé sur le témoignage de la jeune femme, l’auteure accorde une large part à l’histoire de celle-ci, dont la photo est publiée, et la cite, de telle sorte que l’on comprend qu’une longue rencontre a contibué à nourrir l’article.

Puis la journaliste expose ce qu’ont fait, ou n’ont pas fait, la préfecture de Haute-Garonne et l’Agence régionale de santé (ARS). Un médecin spécialiste et la présidente de l’association des victimes du saturnisme sont interrogés. Enfin, l’article annonce la tenue d’une réunion publique le lendemain, qui a été demandée par les cinq comités de quartier du nord.

Neuf jours plus tard, le 23 décembre, France 3 Occitanie publie sur son site un reportage sur le même sujet et cite le même témoin, Elisabeth. L’article est titré « Un quartier de Toulouse contaminé au plomb : “C’est la colère qui me réveille la nuit”, confie une victime enceinte ». Les deux auteurs font une présentation générale de la situation de ce quartier toulousain : les analyses dans le sol, les 12 000 habitants concernés, l’invitation à se faire dépister, la citation d’une victime (« Elisabeth », donc), des précisions sur les risques de cette contamination, une citation de la réunion publique, une première évaluation du coût de la dépollution du site.

Le témoignage d’Elisabeth n’intervient qu’au milieu du texte, mais est mis en exergue et en gras, tout comme la citation d’un pédiatre sur les risques encourus. France 3 ne dit rien de plus que Mediacités sur le cas de cette femme victime de contamination.

➔ Le CDJM constate, tout d’abord, que les deux articles sont différents, apportent chacun des précisions différentes, sont titrés différemment, et que les citations du témoin Elisabeth ne sont pas les mêmes. Au total, 33 lignes sur 56 sont consacrées à celui-ci dans Mediacités, qui ouvre son papier par ce témoignage, tandis que 9 lignes seulement sur 47 lui sont consacrées par France 3 Occitanie, en milieu d’article (bien que le témoignage en question soit ici annoncé dans le titre). Le CDJM considère donc qu’il n’y a donc pas de plagiat.

➔ Néanmoins, le CDJM observe que cette affaire de contamination au plomb concerne 12 000 habitants et qu’une réunion publique (donc ouverte aux journalistes) a été organisée. Il peut donc paraître étonnant que, du point de vue de la fabrication de l’information, France 3 Occitanie ait retenu précisément le même témoin que celui longuement présenté par Mediacités. Une fois ce choix de témoin établi par la rédaction de France 3 Occitanie, un journaliste de la chaîne a contacté la journaliste de Mediacités pour entrer en contact avec ce témoin. Celle-ci a ensuite établi le contact en donnant les coordonnés du journaliste de France 3 Occitanie à Elisabeth (et ce, « dans une optique de partage de l’information sur un sujet de santé publique », indique le requérant dans sa saisine).

La question qui demeure donc est celle de savoir si le devoir de citation des confrères édicté par la Charte d’éthique professionnelle des journalistes du SNJ s’imposait. Pour y répondre, le CDJM considère que la question sous-jacente à se poser est : « Le média France 3 Occitanie aurait-il pu publier cet article comme il l’a fait si son confrère Mediacités n’avait pas fait son travail auparavant ? » Dans ce cas, le fait d’utiliser un même témoin, qui plus est grâce à un contact établi par Mediacités, conduit à répondre par la négative.

Pour le CDJM, il paraissait assez simple d’ajouter dans l’article de France 3 Occitanie : « C’est le cas d’Elisabeth, 36 ans, enceinte (jointe grâce à Mediacités). » Ou, tout au moins, de renvoyer par un lien vers l’article de Mediacités.

Par ailleurs, le CDJM considère que la citation du média grâce auquel on obtient l’information, ou une partie de l’information, est d’autant plus nécessaire quand celle-ci permet de valoriser sa propre production. Il constate aussi que le titre de France 3 Occitanie a pour conséquence indirecte de limiter la visibilité de l’article initial de Mediacités Toulouse dans les résultats de recherche sur Internet.

Le CDJM estime donc que la règle déontologique de citation des confrères dont on utilise le travail n’a pas été respectée, et remarque par ailleurs qu’il était logique, pour Mediacités, de confier le nom du journaliste demandeur à Elisabeth, sa source, plutôt que de communiquer directement sa source au confrère de France 3 Occitanie, au nom de la règle déontologique de la protection des sources.

➔ Enfin, le directeur de l’information de France Télévisions écrit dans sa réponse que « la présente saisine du CDJM semble […] s’inscrire clairement dans une campagne de dénigrement menée par [Mediacités] à l’encontre de France 3 Occitanie », du fait notamment de « la publication à plusieurs reprises [d’]articles contenant des imputations diffamatoires à l’encontre des journalistes de France Télévisions […] sans respecter le principe du contradictoire ». Le CDJM, n’a pas été saisi à leur sujet et ne peut donc d’appréciation sur ces allégations ; il peut cependant comprendre qu’il existe un contexte de mauvaises relations entre les deux médias.

Toutefois, il observe que Mediacités n’a pas mélangé les registres. Le média en ligne a fait la démonstration qu’il pouvait, d’un côté, faire son travail d’enquête et mettre en cause France 3 Occitanie d’un côté, et, de l’autre, rester confraternel, puisqu’il a tout de même permis le contact entre un journaliste de France 3 et un témoin utile pour l’information de tous. Autrement dit, dans le cas présent, en ne citant pas son confrère, la chaîne n’a pas fait preuve de confraternité envers le média en ligne qui, lui, avait fait preuve au contraire, en amont, de solidarité avec elle.

Conclusion

Le CDJM, réuni le 9 mai 2023 en séance plénière, estime qu’il n’y pas lieu de reprocher à France Télévisions d’avoir plagié Mediacités. Il considère, en revanche, que la règle déontologique imposant de citer les confrères dont il utilise le travail n’a pas été respectée.

La saisine est déclarée partiellement fondée.

Cette décision a été prise par consensus.

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