Avis sur la saisine n° 23-020

Adopté en réunion plénière du 11 avril 2023 (version PDF)

Description de la saisine

Le 11 avril 2023, M. Olivier Guichardaz a saisi le CDJM à propos du contenu de la séquence « Flash Mode » diffusée le 3 mars 2023 à 20 h 56 par la chaîne TMC dans l’émission « Quotidien ». Le journaliste M. Marc Beaugé consacre cette chronique à une expérience réalisée par l’agence Reuters pour vérifier qu’une entreprise américaine respecte son engagement de recycler des chaussures usagées. Celle-ci ne le respectant pas, M. Beaugé conclut : « Les bacs à recyclage, c’est souvent ça, du pur greenwashing. »

M. Guichardaz estime que la chronique en cause fait « d’un cas particulier, qui plus est très éloigné (Singapour), une généralité qui serait applicable partout » et donnerait ainsi au téléspectateur « une idée erronée de la réalité ».

Règles déontologiques concernées

Les textes déontologiques auxquels le CDJM se réfère précisent les obligations du journaliste :

  • Il « tient l’esprit critique, la véracité, l’exactitude, l’intégrité, l’équité, l’impartialité, pour les piliers de l’action journalistique ; tient l’accusation sans preuve, l’intention de nuire, l’altération des documents, la déformation des faits, le détournement d’images, le mensonge, la manipulation, la censure et l’autocensure, la non-vérification des faits, pour les plus graves dérives professionnelles », selon la Charte d’éthique professionnelle des journalistes (SNJ, 1918/1938/2011).
  • Il doit « respecter la vérité, quelles qu’en puissent être les conséquences pour lui-même, et ce, en raison du droit que le public a de connaître », selon la Déclaration des droits et devoirs des journalistes (Munich, 1971, devoir no 1).
  • Il doit « respecter les faits et le droit que le public a de les connaître », selon la Charte d’éthique mondiale des journalistes (FIJ, 2019, article 1).
  • Il doit « publier seulement les informations dont l’origine est connue ou les accompagner, si c’est nécessaire, des réserves qui s’imposent » selon de la Déclaration des droits et devoirs des journalistes (Munich, 1971, devoir no 3)
  • Il défend « en tout temps, les principes de liberté dans la collecte et la publication honnêtes des informations, ainsi que le droit à un commentaire et à une critique équitables » et veille « à distinguer clairement l’information du commentaire et de la critique », selon la Charte d’éthique mondiale des journalistes (FIJ, 2019, article 2).
  • Il considère « comme fautes professionnelles graves le plagiat, la distorsion des faits, la calomnie, la médisance, la diffamation, les accusations sans fondement », selon la Charte d’éthique mondiale des journalistes (FIJ, 2019, article 10).

Réponse du média mis en cause

Le 10 mars 2023, le CDJM a adressé à M. Thierry Thuillier, directeur général adjoint Information du groupe TF1, avec copie à MM. Pascal Fuchs, responsable des antennes chez TMC, Laurent Bon, producteur chez Bangumi Production, Yann Barthès et Marc Beaugé, journalistes, un courrier les informant de cette saisine et les invitant à faire connaître leurs observations, comme le prévoit le règlement du CDJM, dans un délai de quinze jours.

Le 28 mars 2023, M. Ara Aprikian, directeur général adjoint du groupe TF1 chargé des contenus et responsable légal de TMC, a accusé réception sans répondre aux griefs formulés. À la date du 11 avril, la société Bangumi n’avait pas répondu au CDJM.

Analyse du CDJM

➔ Dans la chronique mise en cause, M. Marc Beaugé évoque une enquête de journalistes de l’agence Reuters basés à Singapour, qui ont suivi, en 2022 et à l’aide de puces GPS, le parcours de onze paires de baskets usagées déposées dans des bacs à recyclage. Alors qu’une entreprise américaine s’engageait à recycler ces chaussures, l’enquête de Reuters démontre que celles-ci finissent en réalité « sur des marchés et dans des lieux de stockage sauvage aux quatre coins de l’Indonésie ». Le chroniqueur affirme en conclusion : « Sachez-le : les bacs à recyclage c’est souvent ça, du pur greenwashing. »

➔ Selon M. Olivier Guichardaz, qui est lui-même journaliste spécialisé dans les questions de gestion des déchets, cette formule laisse entendre sans nuance que la quasi-totalité des bacs à recyclage sont utilisés de la même manière pour assurer la promotion d’entreprises qui ne tiennent pas leurs promesses.

Il estime que « cette conclusion, à partir d’un cas particulier (quelques baskets, à Singapour), étendue à “les bacs à recyclage” (avec l’article défini “les”, qui semble englober tous les bacs à recyclage), et l’emploi de l’adverbe “souvent” (qui donne l’impression que c’est ainsi dans la majorité des cas, ou a minima dans un grand nombre de cas), est abusive, car elle fait croire au téléspectateur que ces cas de “faux recyclage” (qui sont certes incontestables) seraient fréquents, y compris en France ».

« La réalité est qu’en France, affirme le requérant, même s’il y a des cas de “faux recyclage” et de greenwashing lié au recyclage (cas qu’il est tout à fait légitime de dénoncer), la majorité de ce qui est mis dans des bacs à recyclage, de vêtements ou d’autres produits (emballages, équipements électriques et électroniques, mobilier…), est recyclé, ou au pire valorisé sous forme d’énergie. »

M. Guichardaz craint donc que la conclusion de la chronique de « Quotidien » mise en cause ait « un effet délétère » sur le public, qui serait ainsi découragé de procéder au tri des déchets. « Présenter les choses comme l’a fait [M. Beaugé], écrit le requérant, est dommageable non seulement à la bonne information du public, mais aussi à l’environnement. »

➔ Sans avoir à prendre position sur les affirmations de M. Guichardaz quant à la réalité du recyclage des vêtements déposés dans les bacs, le CDJM constate que le chroniqueur de « Quotidien » ne s’appuie que sur la seule enquête réalisée à Singapour par l’agence Reuters et qu’il en tire une conclusion générale, sans développer le moindre argument qui permettrait de dire que la pratique observée à Singapour l’est également en France.

➔ Le CDJM considère que mettre en garde sur les limites du recyclage des vêtements peut être fait par le journaliste, mais à la condition qu’il l’appuie sur un argumentaire factuel et détaillé. Or, en l’occurrence, ce n’est pas le cas, puisque celui-ci ne s’appuie que sur un fait isolé et géographiquement éloigné.

Le CDJM estime donc que le journaliste énonce une affirmation fondée sur une généralisation rapide d’un seul fait. M. Beaugé peut citer l’enquête réalisée par Reuters sans avoir à la vérifier – eu égard à la confiance dont jouit cette agence. Il ne peut avancer aucun autre argument susceptible de valider la conclusion générale qu’il en a tirée, sauf à se voir reprocher de ne pas avoir vérifié les faits énoncés.

Conclusion

Le CDJM, réuni le 11 avril 2023 en séance plénière, estime que l’obligation déontologique faite au journaliste de ne pas déformer les faits n’a pas été respectée.

La saisine est déclarée fondée.

Cette décision a été prise par consensus.

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