Avis sur la saisine n° 22-100

Adopté en réunion plénière du 10 janvier 2023 (version PDF)

Description de la saisine

Le 30 novembre 2022, M. Jan Drané a saisi le CDJM à propos d’une séquence de l’émission « La Matinale » diffusée le 29 novembre 2022 sur CNews dans le journal de 7 heures. M. Drané estime que cette séquence consacrée à la découverte d’un rat dans les vêtements d’une dame qui sort du métro est présentée d’une façon inexacte. Il affirme que « la scène ne s’est pas déroulée à Paris mais dans la ville voisine de Boulogne-Billancourt, qui n’est pas gérée par une mairie de la même couleur politique, ce qui n’est jamais mentionné. À aucun moment la politique de cette ville en matière de propreté et de dératisation n’est questionnée. »

Règles déontologiques concernées

Les textes déontologiques auxquels le CDJM se réfère précisent les obligations du journaliste :

  • Il « tient l’esprit critique, la véracité, l’exactitude, l’intégrité, l’équité, l’impartialité, pour les piliers de l’action journalistique ; tient l’accusation sans preuve, l’intention de nuire, l’altération des documents, la déformation des faits, le détournement d’images, le mensonge, la manipulation, la censure et l’autocensure, la non-vérification des faits, pour les plus graves dérives professionnelles », selon la Charte d’éthique professionnelle des journalistes (SNJ, 1918/1938/2011).
  • Il doit « respecter la vérité, quelles qu’en puissent être les conséquences pour lui-même, et ce, en raison du droit que le public a de connaître », selon la Déclaration des droits et devoirs des journalistes (Munich, 1971, devoir no 1).
  • Il doit « respecter les faits et le droit que le public a de les connaître », selon la Charte d’éthique mondiale des journalistes (FIJ, 2019, article 1).
  • Il doit « publier seulement les informations dont l’origine est connue ou les accompagner, si c’est nécessaire, des réserves qui s’imposent » selon la Déclaration des droits et devoirs des journalistes (Munich, 1971, devoir no 3).
  • Il « ne rapportera que des faits dont il/elle connaît l’origine, ne supprimera pas d’informations essentielles et ne falsifiera pas de documents. Il/elle sera prudent dans l’utilisation des propos et documents publiés sur les médias sociaux », selon la Charte d’éthique mondiale des journalistes (FIJ, 2019, article 3).

Réponse du média mis en cause

Le 2 décembre 2022, le CDJM a adressé à M. Thomas Bauder, directeur de l’information de CNews, avec copie à M. Romain Desarbres, journaliste et présentateur de « La Matinale », un courrier les informant de cette saisine et les invitant à faire connaître leurs observations dans un délai de quinze jours, comme le prévoit le règlement du CDJM.

A la date du 10 janvier 2023, aucune réponse n’est parvenue au CDJM.

Analyse du CDJM

➔ La séquence en cause est un « micro-trottoir » réalisé devant une bouche de métro, qui dure 47 secondes. Alors que la mention « PARIS: UN RAT SORT DE LA MANCHE DE SON PULL ! » s’affiche dans un bandeau en bas de l’écran, le journaliste M. Romain Desarbres l’introduit ainsi :

« Alors que la mairie de Paris se bat contre la présence des rats dans la capitale depuis cinq ans : un plan anti-rats en 2017, il y a encore beaucoup de travail ! Regardez : hier soir, alors qu’on interrogeait, caméraman interrogeait [sic] une dame sur un tout autre sujet, cette dame s’arrête parce qu’elle ressent une gêne dans sa manche. Vous imaginez la suite… Elle enlève son manteau : y’avait un rat dans sa manche ! Cette dame sortait du métro parisien. Regardez ! »

Suit une séquence filmée à la tombée du jour. Une passante interrogée dans la rue répond à un caméraman. Elle s’interrompt car quelque chose la gêne, enlève une manche de son manteau et regarde vers le sol. Le caméraman filme un sac en carton posé devant la passante et commente : « Ça alors ! Madame, vous aviez une souris dans la manche ! » Un gros plan du sac montre un rongeur qui s’agite entre deux paquets, et le caméraman ajoute : « En fait, c’est pas une souris, c’est un rat ! » Dans un autre plan, on voit le rat tournant en rond au fond du sac qui a été vidé des paquets qu’il contenait. Puis le sac est penché vers le sol, et le rat s’en échappe.

Après cette séquence filmée, M. Desarbres reprend la parole en plateau, insistant sur sa stupéfaction en mettant un instant la main devant sa bouche :

« Ah ! C’est fou, hein ! Voilà… voilà comment ça se passe. Cette dame avait un rat – alors qu’elle sortait du métro – un rat dans sa manche ! Je ne sais pas comment il est arrivé là… elle devait être assise, il est monté par là. »

La mention « PARIS : RIEN NE VA PLUS ! » apparaît en incrustation en bas de l’écran dans un bandeau.

« Bon. Gauthier Le Bret, lance M. Desarbres, les fléaux des rats à Paris, ça fait des années que ça dure, hein ?

Ne parlez surtout pas de rat, Romain, répond M. Gauthier Le Bret, parlez de surmulot ! Vous vous souvenez peut-être de cette députée… de cette élue animaliste au Conseil de Paris qui refusait qu’on parle de rat mais qui préférait parler de surmulot. Alors ils sont très compliqués à chiffrer dans la capitale, ils seraient entre quatre et six millions. Six millions, c’est tout de même deux fois plus que le nombre d’habitants à Paris intra-muros. Un véritable danger pour la santé publique, rappelle l’Académie de médecine qui tirait la sonnette d’alarme en juillet dernier, justement en réaction à cette élue parisienne qui parlait de surmulot.

L’Académie rappelle que le rat est vecteur de nombreuses maladies. Il peut également contaminer la chaîne alimentaire. L’Académie de médecine préconise donc, eh bien, aux mairies de promouvoir un vaste plan de propreté urbaine, et de supprimer les déchets qui sont accessibles aux rats [à l’écran s’affichent des images de cartons et de sacs poubelles abandonnés sur un trottoir].

C’est ce que voulait faire Anne Hidalgo. Vous voyez bien que ça ne paye pas pour le moment. Ça va plutôt mal, hein, pour Anne Hidalgo en ce moment à la mairie de Paris. Vous savez qu’elle est très contestée. On lui reproche d’avoir fait exploser la dette de Paris à huit milliards d’euros. Elle a réussi à faire exploser la dette, mais pas à rendre la capitale plus propre. »

➔ L’analyse de la séquence indique qu’elle a très vraisemblablement été tournée à Boulogne-Billancourt, place Marcel-Sembat, à l’angle de l’avenue Édouard-Vaillant et du boulevard de la République. On distingue en arrière-plan le restaurant KFC situé 108, avenue Édouard-Vaillant et la Pharmacie centrale qui donne sur le même carrefour et située au 197, boulevard Jean-Jaurès. Le reportage ne le précise pas. Au contraire, les indications orales laissent entendre, et le bandeau affirme, que cela se passe à Paris.

➔ Le CDJM souligne que ce fait, mis en exergue et analysé par les intervenants, est en lui-même très peu documenté, et demeure étonnant. Il observe que les débats en plateau qui suivent le journal dans l’émission « La Matinale » ne l’étayent pas davantage, puisqu’ils portent de façon très générale sur la politique et la gestion de la mairie de Paris.

Cette critique sur l’action de la majorité municipale en matière de propreté dans la capitale relève d’un choix éditorial. Cependant, en l’illustrant par un épisode dont la localisation est erronée et qui se situe en fait hors du périmètre de la capitale, CNews met elle-même en évidence que le réseau du métro « parisien » s’étend au-delà de la ville de Paris – même si on ne peut méconnaître qu’il dessert essentiellement Paris intra-muros. La présence de rats dans ce réseau pourrait pourtant justifier de s’interroger sur l’action d’autres institutions, notamment la RATP, la région Île-de-France et, en l’occurrence, la mairie de Boulogne-Billancourt.

Conclusion

Le CDJM réuni le 10 janvier 2023 en séance plénière estime que l’obligation déontologique d’exactitude et de véracité n’a pas été respectée.

La saisine est déclarée fondée.

Cette décision a été prise par consensus.

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