Adopté en réunion plénière du 13 décembre 2022 (version PDF)
Description de la saisine
Le 25 septembre 2022, M. Emile Kowalski a saisi le CDJM à propos d’un article publié le 24 septembre 2022 par l’hebdomadaire Valeurs actuelles sur son site, et titré « Classement mondial des villes les plus sûres : Paris derrière Medellín, Nantes pire que Bogota ». M. Kowalski considère estime que Valeurs actuelles fait une « présentation trompeuse » d’une « “étude” sur l’insécurité dans le monde en affirmant que d’après celle-ci, la ville de Paris serait moins sûre que des villes réputées pour leur dangerosité, comme Medellín, Bogota ou Karachi ». Il affirme qu’il y a non-respect de l’exactitude et de la véracité, car « ce n’est absolument pas ce que permet d’affirmer ladite étude, à la méthodologie par ailleurs très peu rigoureuse : elle n’évalue que le sentiment d’insécurité, et non la réalité de la délinquance ».
Règles déontologiques concernées
Les textes déontologiques auxquels le CDJM se réfère précisent les obligations du journaliste :
- Il « tient l’esprit critique, la véracité, l’exactitude, l’intégrité, l’équité, l’impartialité, pour les piliers de l’action journalistique ; tient l’accusation sans preuve, l’intention de nuire, l’altération des documents, la déformation des faits, le détournement d’images, le mensonge, la manipulation, la censure et l’autocensure, la non-vérification des faits, pour les plus graves dérives professionnelles », selon la Charte d’éthique professionnelle des journalistes (SNJ, 1918/1938/2011).
- Il doit « respecter la vérité, quelles qu’en puissent être les conséquences pour lui-même, et ce, en raison du droit que le public a de connaître », selon la Déclaration des droits et devoirs des journalistes (Munich, 1971, devoir no 1).
- Il doit « respecter les faits et le droit que le public a de les connaître », selon la Charte d’éthique mondiale des journalistes (FIJ, 2019, article 1).
- Il doit « publier seulement les informations dont l’origine est connue ou les accompagner, si c’est nécessaire, des réserves qui s’imposent », selon la Déclaration des droits et devoirs des journalistes (Munich, 1971, devoir no 3).
- Il « ne rapportera que des faits dont il/elle connaît l’origine, ne supprimera pas d’informations essentielles et ne falsifiera pas de documents. Il/elle sera prudent dans l’utilisation des propos et documents publiés sur les médias sociaux », selon la Charte d’éthique mondiale des journalistes (FIJ, 2019, article 3).
Réponse du média mis en cause
Le 30 septembre 2022, le CDJM a adressé à M. Geoffroy Lejeune, directeur de la rédaction de Valeurs actuelles, un courrier l’informant de cette saisine et l’invitant à faire connaître ses observations, comme le prévoit le règlement du CDJM, dans un délai de quinze jours. À la date du 13 décembre 2022, aucune réponse n’est parvenue au CDJM.
Analyse du CDJM
➔ L’article de Valeurs actuelles objet de cette saisine est titré « Classement mondial des villes les plus sûres : Paris derrière Medellín, Nantes pire que Bogota » et sous-titré « Les villes françaises dégringolent toutes, entraînant la France dans les bas-fonds du classement mondial ». Il présente un classement des villes les plus sûres du monde établi par le site Numbeo « basé sur l’évaluation des visiteurs eux-mêmes », et démontre à partir de ces données que « les villes françaises dégringolent », que « la France s’enfonce donc dans le bas du tableau », dernière des villes européennes et « troisième… en partant de la fin » au niveau mondial.
➔ Le CDJM rappelle que de nombreux lecteurs, notamment sur Internet et les réseaux sociaux, ne lisent que les éléments de titres. Il importe donc que ceux-ci rapportent fidèlement le contenu de l’article lui-même. Si un titre, reflet du texte qui va suivre, ne peut pas tout dire, l’information qu’il fournit doit être rigoureusement exacte.
En l’occurrence, la nature du classement des villes en fonction de leur « sûreté », qui sert de support à l’article de Valeurs actuelles, n’est pas explicitée. Le titre et le sous-titre font état d’un « classement mondial des villes les plus sûres », ce qui peut être compris par le lecteur comme un classement établi par une institution internationale, un organisme scientifique reconnu ou encore à l’issue d’une étude universitaire. Or il n’en est rien. Comme le précise le corps de l’article, ce classement est « réalisé par le site Numbeo » et « basé sur l’évaluation des visiteurs eux-mêmes ». Cette indication, essentielle pour comprendre l’information présentée, ne figure ni dans le titre ni dans le sous-titre.
➔ Le CDJM note que, dans le corps de l’article, les lecteurs ne sont pas informés de la nature de cette plateforme Numbeo. Il est certes clairement précisé que l’évaluation de la sécurité des villes est le fait « des visiteurs eux-mêmes ». Mais il n’est donné aucune information sur les biais qui concernent le recueil et l’analyse des données : le classement des villes est établi à partir des réponses de visiteurs venus spontanément sur le site Numbeo ; il n’est fait aucune vérification qu’ils habitent ou ont visité les villes dont ils évaluent la sécurité ; il n’est pas précisé combien de personnes ont répondu à ces questionnaires ; elles ne constituent pas un échantillon représentatif de la population générale.
Les limites de ces données avaient pourtant été analysées le 17 mai 2022 par l’Agence France Presse dans un texte qui a largement circulé. Or la première phrase du corps de l’article présente les résultats de ce classement comme rendant compte de la délinquance constatée : « S’il fallait encore une preuve de l’insécurité grandissante en France, le classement des villes les plus sûres du monde en constitue assurément une. »
Ce qui est pour Numbeo une présentation de données subjectives de la « perception de la sécurité et du crime en France » devient un « classement des villes les plus sûres du monde » et « une preuve de l’insécurité » effective. Le CDJM considère qu’à tout le moins, cette présentation des données de la plate-forme Numbeo aurait dû s’accompagner des « réserves qui s’imposent », comme le rappelle la Déclaration des droits et devoirs des journalistes, dite déclaration de Munich.
Conclusion
Le CDJM réuni le 13 décembre 2022 en séance plénière estime que les obligations déontologiques d’exactitude et de véracité et de prudence dans la présentation des propos et des documents n’ont pas été respectés.
La saisine est déclarée fondée.
Cette décision a été prise par consensus.