Adopté en réunion plénière du 11 octobre 2022 (version PDF)
Description de la saisine
Le 8 juillet 2022, M. Amine Elbahi a saisi le CDJM à propos d’un article publié le 8 juillet 2022 par le quotidien La Voix du Nord dans ses pages « Roubaix et la métropole », et titré : « L’intimidation : Amine Elbahi bluffe pour éviter qu’on fasse état de sa condamnation ».
M. Elbahi formule les griefs de non-respect de l’exactitude et de la véracité des faits, d’absence d’offre de réplique et de non-rectification d’une erreur. Il expose au CDJM qu’il a été condamné pour diffamation le 5 juillet 2022 par le tribunal de Lille, condamnation dont il a fait appel. L’objet de sa saisine est une brève publiée le 8 juillet qui évoque des échanges avec M. Bruno Renoul, journaliste, après cette décision de justice.
Pour M. Elbahi, écrire qu’« affirmer que j’ai tenté d’intimider la presse locale ou de proférer des menaces pénales est mensonger et inexact matériellement ». Il argumente qu’il « [n’a] jamais été l’auteur d’aucune menace pénale, et ce, sous quelque forme que ce soit, à la presse locale », mais qu’il a « simplement fait part d’une simple consultation juridique privée qui ne me recommandait pas de répondre aux sollicitations médiatiques eu égard au contexte de menaces dont je suis en ce moment victime et aux motifs ayant conduit au report des audiences ».
Sur le grief d’absence d’offre de réplique, M. Elbahi affirme que « le journaliste a rédigé sa brève pour indiquer que j’aurais menacé la presse locale sans jamais chercher à me poser la moindre question sur la consultation juridique privée dont il fait part ».
Enfin, M. Elbahi appuie le grief de non-rectification d’une erreur en évoquant « un droit de réponse [qu’il a envoyé] au journal La Voix du Nord et Nord Éclair » et en affirmant que « le journaliste Bruno Renoul m’a répondu en message privé sur WhatsApp qu’il ne rectifiera rien de sa brève et qu’il ne reviendrait pas dessus ».
Règles déontologiques concernées
Les textes déontologiques auxquels le CDJM se réfère précisent les obligations du journaliste :
- Il « tient l’esprit critique, la véracité, l’exactitude, l’intégrité, l’équité, l’impartialité, pour les piliers de l’action journalistique ; tient l’accusation sans preuve, l’intention de nuire, l’altération des documents, la déformation des faits, le détournement d’images, le mensonge, la manipulation, la censure et l’autocensure, la non-vérification des faits, pour les plus graves dérives professionnelles », selon la Charte d’éthique professionnelle des journalistes (SNJ, 1918/1938/2011).
- Il doit « respecter la vérité, quelles qu’en puissent être les conséquences pour lui-même, et ce, en raison du droit que le public a de connaître », selon la Déclaration des droits et devoirs des journalistes (Déclaration de Munich, 1971, devoir no 1).
- Il doit « respecter les faits et le droit que le public a de les connaître », selon la Charte d’éthique mondiale des journalistes (FIJ, 2019, article 1).
- Il « ne rapportera que des faits dont il/elle connaît l’origine, ne supprimera pas d’informations essentielles et ne falsifiera pas de documents. Il/elle sera prudent dans l’utilisation des propos et documents publiés sur les médias sociaux », selon la Charte d’éthique mondiale des journalistes (FIJ, 2019, article 3).
- La notion d’urgence ou d’immédiateté dans la diffusion de l’information ne prévaudra pas sur la vérification des faits, des sources et/ou l’offre de réplique aux personnes mises en cause de la Charte d’éthique mondiale des journalistes (FIJ, 2019, article 5).
- Il « fait en sorte de rectifier rapidement toute information diffusée qui se révèlerait inexacte », selon la Charte d’éthique professionnelle des journalistes (SNJ, 1918/1938/2011).
- Il « rectifie toute information publiée qui se révèle inexacte », selon la Déclaration des droits et devoirs des journalistes ( Munich, 1971, devoir no 6).
- Il « s’efforcera par tous les moyens de rectifier de manière rapide, explicite, complète et visible toute erreur ou information publiée qui s’avère inexacte », selon la Charte d’éthique mondiale des journalistes (FIJ, 2019, article 6).
Réponse du média mis en cause
Le 18 juillet 2022, le CDJM a adressé à M. Patrick Jankielewicz, rédacteur en chef de La Voix du Nord avec copie à M. Bruno Renoul, journaliste au bureau de Roubaix de La Voix du Nord / Nord Éclair un courrier les informant de cette saisine et les invitant à faire connaître leurs observations, comme le prévoit le règlement du CDJM, dans un délai de quinze jours.
À la date du 11 octobre 2022, aucune réponse n’est parvenue au CDJM.
Analyse du CDJM
➔ Cette saisine concerne une brève publiée le 8 juillet 2022 dans les pages « Roubaix et la Métropole » de La Voix du Nord, titrée « Amine Elbahi bluffe pour éviter qu’on fasse état de sa condamnation » et ainsi rédigée :
« Contacté pour le faire réagir à sa condamnation en diffamation mardi par le tribunal correctionnel de Lille, le Roubaisien Amine Elbhi a adopté un singulier manège : tenter de nous faire croire, via un courrier de son avocat, que nous aurions l’interdiction légale de rendre public ce jugement. Menaces pénales à l’appui. Vérification faite auprès du tribunal, aucune restriction à sa publicité ne pouvait nous empêcher de le diffuser. Ce qui explique pourquoi, amis lecteurs, nous avons rendu publique cette décision… publique. »
Cette brève renvoie à un article publié le 6 juillet 2022 en ligne et le 7 juillet dans la version imprimée de La Voix du Nord, titré « Amine Elbahi condamné pour diffamation à l’égard de Partenord et de Max-André Pick ».
➔ Le requérant a communiqué le 13 juillet au CDJM une série d’échanges sur la messagerie WhatsApp avec Bruno Renoul, le journaliste auteur de l’article, dans lesquels il reproche au journaliste de ne dire « à aucun moment dans le titre ou le sous-titre – le plus lu généralement – qu’un appel a été interjeté ». Il ressort de ces échanges que le requérant a montré au journaliste une lettre de son avocat selon lequel la loi de 1881 interdirait dans certains cas de rendre compte d’un procès en diffamation et y fait référence avec insistance dans les messages qu’il lui adresse. Ce courrier indiquerait, comprend-on à la lecture de ces échanges, que des poursuites sont possibles contre un journaliste et un média qui rendraient compte d’une condamnation pour diffamation.
Le journaliste répond au cours de ces échanges que ce courrier est « une menace explicite » et que « toute [cette] conversation est une tentative d’intimidation ».
Le CDJM constate que la brève publiée le 8 juillet 2022 par La Voix du Nord restitue le sens et le contenu de ces échanges avec exactitude.
➔ Dans ces échanges, le requérant reproche également au journaliste de ne pas avoir mentionné qu’il avait fait appel de sa condamnation dans la « titraille » [le terme désigne l’ensemble des éléments (titre, sous-titre, légende…) qui accompagnent le texte d’un article, ndlr] de l’article en ligne du 6 et imprimé le 7 juillet.
Bien que cet article ne soit pas l’objet de cette saisine, qui porte sur la brève publiée le 8 juillet, le CDJM constate que l’appel de sa condamnation par le requérant est indiqué à deux reprises dans l’article original, dans un intertitre en caractères gras et dans le dernier paragraphe. Le choix de faire figurer ainsi cette information relève de la liberté éditoriale du journaliste et de la rédaction de La Voix du Nord et ne constitue pas une faute déontologique.
Le CDJM note à ce propos que le journaliste a ajouté dans le sous-titre de l’article relatant la condamnation de M. Elbahi la phrase : « Il a fait appel ». Cette mention figure sur les versions de l’article du 7 juillet disponibles sur les kiosques de presse numérique et sur le site du quotidien. Le CDJM rappelle que M. Renoul n’avait aucune obligation déontologique d’ajouter cette mention dans la titraille, et note que celui-ci précise dans les échanges sur WhatsApp avec M. Elbahi, communiqués par celui-ci au CDJM, qu’il n’a fait cette modification que pour faire cesser les demandes répétées de M.Elbahi.
➔ L’offre de réplique est l’obligation déontologique de recueillir l’avis d’une personne mise en cause. Il ressort des échanges sur WhatsApp entre le journaliste de La Voix du Nord et M. Elbahi que celui-ci avait largement pu exposer au journaliste ses arguments avant la publication de la brève, objet de cette saisine, au téléphone et dans ses messages. Le grief n’est pas retenu.
➔ Le requérant appuie le grief de non-rectification sur la non-publication d’une demande de droit de réponse adressé par courriel à La Voix du Nord. Le CDJM rappelle que ce droit, ouvert par l’article 13 de la loi du 29 juillet 1881 sur la liberté de la presse à toute personne nommée ou désignée, n’est toutefois pas un droit absolu dans la mesure où il obéit à des conditions de fond et de forme.
En tout état de cause, il n’appartient pas au CDJM de se prononcer sur la publication d’un droit de réponse : seul le juge est compétent pour se prononcer sur un refus d’insertion, et peut le cas échéant ordonner une insertion forcée du droit de réponse.
Le CDJM n’ayant pas constaté d’inexactitude dans la brève publiée le 8 juillet, objet de cette saisine, le grief de non-rectification n’est pas fondé.
Conclusion
Le CDJM, réuni le 11 octobre en séance plénière, estime que les obligations déontologiques de d’exactitude et de véracité des faits, d’offre de réplique et de rectification d’une erreur ont été respectées par La Voix du Nord.
La saisine est déclarée non-fondée.
Cette décision a été prise par consensus.