Avis sur la saisine n° 21-151

Adopté en réunion plénière du 14 décembre 2021 (version PDF)

Description de la saisine

Le 16 septembre 2021, le CDJM a été saisi par M. Jean Lucet au sujet d’un article publié le 26 août 2021 sur le site du magazine Le Point sous le titre « 30 km/h en ville, la promesse d’une pollution aggravée ». M. Lucet formule le grief d’inexactitude et de non-respect des faits, en se référant à une étude du Centre d’études et d’expertise sur les risques, l’environnement, la mobilité et l’aménagement (Cerema), un établissement public à caractère administratif. Ce travail de recherche est également cité dans l’article en cause.

Pour M. Lucet, l’auteur de l’article du Point « déforme les conclusions » de cette étude, et il est « parfaitement trompeur d’affirmer que la création de zones 30 en ville serait la « promesse » d’un renforcement de la pollution ».

Règles déontologiques concernées

Les textes déontologiques auxquels le CDJM se réfère précisent les obligations du journaliste. Ainsi, concernant l’exactitude et la véracité des faits :

  • Il « tient l’esprit critique, la véracité, l’exactitude, l’intégrité, l’équité, l’impartialité, pour les piliers de l’action journalistique ; tient l’accusation sans preuve, l’intention de nuire, l’altération des documents, la déformation des faits, le détournement d’images, le mensonge, la manipulation, la censure et l’autocensure, la non-vérification des faits, pour les plus graves dérives professionnelles », selon la Charte d’éthique professionnelle des journalistes (SNJ, 1918/1938/2011).
  • Il doit « respecter la vérité, quelles qu’en puissent être les conséquences pour lui-même, et ce, en raison du droit que le public a de connaître », selon la Déclaration des droits et devoirs des journalistes (Munich, 1971, devoir no 1).
  • Il doit « respecter les faits et le droit que le public a de les connaître », selon la Charte d’éthique mondiale des journalistes (FIJ, 2019, article 1).

Réponse du média mis en cause

Le 14 octobre 2021, le CDJM a adressé à M. Sébastien Le Fol, directeur de la rédaction du Point, et à M. Jacques Chevalier, journaliste auteur de l’article en cause, un courrier les informant de cette saisine et les invitant à faire connaître leurs observations, comme le prévoit le règlement du CDJM, dans un délai de quinze jours. À la date du 14 décembre 2021, aucune réponse n’est parvenue au CDJM.

Analyse du CDJM

L’article du Point en cause est titré : « 30 km/h en ville, la promesse d’une pollution aggravée ». Il affirme dans son chapô que « l’autophobie qui consiste à organiser les embouteillages jusqu’à faire du surplace obtient l’inverse du résultat escompté ». Cette conclusion est fondée sur l’analyse d’une étude scientifique du Cerema d’avril 2021, dont le résumé a été publié le 17 août 2021. Intitulée « Émissions routières des polluants atmosphériques : courbes et facteurs d’influence », elle porte notamment sur le rapport entre vitesse moyenne, consommation et pollution.

Ce document présente de « nouvelles courbes d’émissions de polluants et de GES [gaz à effet de serre] en grammes par kilomètre parcouru en fonction de la vitesse moyenne d’un véhicule » et d’autres paramètres. Parmi ses conclusions, il remarque que « pour les véhicules légers comme pour les poids lourds, les émissions sont importantes à très faible vitesse (jusqu’à 30 km/h environ), ce qui signifie que les situations de congestion du trafic routier sont très pénalisantes du point de vue de la qualité de l’air ».

Ce constat ne s’appuie pas sur des données mesurées dans des conditions de circulation réelles, mais sur les chiffres d’émissions de gaz à effet de serre théoriques, communiqués par les constructeurs automobiles dans le cadre des normalisations européennes de véhicules. Il ne conclut rien sur l’impact des zones urbaines où la vitesse est limitée à 30 km/h.

Le CDJM constate que l’article du Point est catégorique : « La conclusion est sans équivoque, on pollue à 30 km/h nettement plus qu’à 50 km/h », et que son titre, notamment, manque beaucoup de prudence dans son affirmation tranchée. Or, de nombreuses sources étaient disponibles au moment de sa rédaction, par exemple sur le site du Cerema, pour mieux apprécier la portée de cette étude.

Après la publication de cet article et de très nombreux autres concluant de la même façon, le Cerema a publié un long communiqué expliquant pourquoi « le rapport sur les émissions routières produit par le Cerema ne permet pas d’évaluer une zone 30 km/h ». On y lit notamment que « si les courbes du rapport montrent des émissions moyennes plus fortes aux faibles et basses vitesses (résultats bien connus des modélisateurs d’émissions), il faut surtout rappeler que le premier facteur influençant les émissions n’est pas la vitesse mais l’accélération. Autrement dit, un trafic “heurté” ou congestionné est bien plus émissif qu’un trafic régulier et apaisé. En milieu urbain, les phases d’accélération ne peuvent être évitées : arrêt aux intersections, ralentissements et en conséquence accélérations. L’enjeu est donc de limiter l’intensité de ces phases d’accélération (limitation des vitesses autorisées) et d’apaiser la conduite ; mieux canaliser le transit vers certains axes lors de la réorganisation de plans de circulation pour la mise en place de zones 30 y contribue notamment ».

Il est regrettable que ces précisions rectifiant l’article incriminé n’aient pas été portées à la connaissance des lecteurs du site du Point.

Conclusion

Le CDJM, réuni le 14 décembre 2021 en séance plénière, estime que l’obligation déontologique d’exactitude et de véracité n’a pas été respectée.

La saisine est déclarée fondée.

Cette décision a été prise par consensus des membres présents.

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