C’est un principe fondamental de l’action du Conseil de déontologie journalistique et de médiation (CDJM) : le média concerné est systématiquement contacté, par email ou par lettre, afin qu’il puisse donner sa version des faits – en pratique, le courrier est envoyé à la direction de la rédaction et/ou aux journalistes auteurs du contenu concerné, quand ces derniers sont identifiés.
Cette étape fait partie de la procédure mise en place depuis la création du Conseil en décembre 2019 et les premières saisines du public à propos d’éventuels manquements aux règles éthiques de la profession.
Beaucoup de médias acceptent désormais de répondre, systématiquement ou ponctuellement, parmi lesquels on trouve Le Monde, France Télévisions, Le Point ou Le Figaro. Dans certains cas, ce sont les auteurs eux-mêmes (et non leur hiérarchie) qui prennent le temps d’expliquer leur travail et de justifier leurs choix. Ces éléments sont reproduits largement dans les avis que le CDJM publie, et ils lui permettent de proposer des analyses plus complètes des enjeux déontologiques en question.
Mais comment répondre efficacement aux sollicitations du CDJM ? Si vous faites partie des journalistes ainsi contactés, voici une série de conseils qui vous aideront à mettre au point votre réponse.
1. Inutile de vous en prendre au requérant
Certaines réponses adressées aux CDJM commencent par rappeler le « passif » existant entre la personne qui a saisi le CDJM et la rédaction qu’elle met en cause. Ces journalistes expliquent que le requérant est coutumier des attaques contre leur média ; qu’il avance masqué au service d’un camp politique, d’une organisation ou d’un lobby ; qu’il n’est pas animé des meilleurs sentiments à l’endroit de reporters qui ne font pourtant que leur travail.
Certains estiment que le profil du requérant constitue une raison suffisante pour demander au CDJM de rejeter purement et simplement sa saisine. Pourtant, le règlement intérieur autorise bien toute « personne physique de 16 ans révolus » à le saisir. Belzébuth en personne peut demander un avis sur le travail d’un journaliste ; le CDJM ne peut refuser par principe d’y répondre.
Ces éléments de contexte peuvent avoir un intérêt pour l’analyse que le CDJM entend livrer, mais votre réponse ne peut se limiter à les rappeler : il faut répondre aux griefs que votre travail de journaliste a soulevés, quel que soit l’état d’esprit de celui qui les formule.
2. Pas la peine de pointer du doigt les autres médias
C’est aussi un élément qu’on retrouve parfois dans les réponses reçues : des journalistes suggèrent au CDJM de s’intéresser au travail de consœurs et de confrères qu’ils jugent moins respectueux de la déontologie, plutôt qu’à leur propre production.
Il faut rappeler que le CDJM n’a rien contre vous ou contre le média où vous travaillez. Il retient, parmi les saisines qu’on lui adresse, celles qui sont recevables selon des critères définis aux articles 1 et 2 de son règlement intérieur, qui incluent le délai depuis la parution ou diffusion, la longueur de la saisine ou encore le type de critiques formulées…
Quand il vous contacte, c’est sans avoir d’avis a priori sur l’article ou l’émission mis en cause : le travail d’analyse aura lieu plus tard, effectué par un groupe de travail où figurent des représentants de chacun de ses trois collèges (journalistes, éditeurs et public). Ce dernier prendra en compte votre réponse dans les conclusions présentées à l’ensemble des conseillers, qui décideront de l’issue de l’avis. La saisine peut alors être déclarée fondée (les règles déontologiques concernées n’ont pas été respectées), non fondée (elles l’ont été) ou partiellement fondée (certaines l’ont été, d’autres non).
Si le CDJM suit cette procédure, c’est qu’il estime, comme beaucoup de professionnels aujourd’hui, que le dialogue avec le public est indispensable et que répondre à un lecteur, auditeur ou téléspectateur qui s’interroge sur le respect des bonnes pratiques professionnelles est un moyen de regagner sa confiance.
3. Centrez votre réponse sur le travail concerné
Dans leur réponse au CDJM, certains journalistes rappellent que le contenu qui a fait l’objet d’une saisine n’est pas le seul que leur média a publié ou diffusé sur le sujet traité, estimant injuste que le reste du travail fourni par leur rédaction ne soit pas pas pris en compte. D’autres mettent en avant les valeurs que leur média a choisi de mettre en avant, son engagement politique ou citoyen, ou encore les chartes internes ou collectives qu’il a signées.
Ces réactions sont compréhensibles, mais une instance d’autorégulation comme le CDJM n’a pas vocation à se prononcer sur l’ensemble de la production éditoriale d’un média, ni sur les engagements qu’il a pris envers ses lecteurs, auditeurs ou téléspectateurs. Il rend son avis à propos de l’acte journalistique sur lequel il est saisi et sur lui seul, et s’interdit de juger le travail d’un titre dans sa globalité.
4. Faites une réponse de journaliste, pas de juriste
Certains médias demandent à leur service juridique, plutôt qu’à la rédaction, de répondre aux courriers du CDJM. C’est passer du champ de la déontologie à celui du droit. L’expérience montre que ces contributions tombent souvent à côté du sujet, et sont bien moins utiles à l’analyse déontologique que les réponses adressées par les journalistes eux-mêmes ou par leur hiérarchie.
Le CDJM n’est pas un tribunal, mais une instance d’autorégulation de la déontologie. Avec le statut d’association reconnue d’intérêt général à vocation culturelle, il ne peut prononcer de sanctions et se contente de publier des avis. Il fonde ses décisions non sur la loi de 1881 et les autres textes encadrant la liberté d’expression en France, mais sur trois chartes déontologiques rappelant les bonnes pratiques du journalisme et dont la légitimité est largement reconnue au niveau français, européen et international.
Dans ce contexte, le CDJM n’attend pas des médias des analyses juridiques mais bien des précisions et des explications sur la façon dont le travail journalistique a été mené. Par exemple : l’affirmation faite a-t-elle été étayée par plusieurs sources ? La personne mise en cause dans un article a-t-elle été contactée au préalable ? L’erreur commise à l’antenne a-t-elle été corrigée, et si oui comment ? A-t-il été pris des dispositions pour éviter que le membre de la rédaction mis en cause se trouve en situation de conflit d’intérêts ?
C’est avec des réponses directes et concrètes que le CDJM peut faire son travail au mieux, et ce type de contributions bénéficie, dans l’avis finalement publié, à la défense du média mis en cause.
5. Expliquez votre travail en entrant dans les détails
Les réponses les plus intéressantes que le CDJM reçoit sont celles qui entrent dans le détail du travail journalistique, afin de fournir un maximum d’éléments pertinents à l’analyse des questions déontologiques soulevées par la saisine. Par exemple, si un témoin vous reproche de l’avoir trompé sur le sujet d’une interview, usant d’une méthode qu’il juge déloyale, il peut être utile de fournir au CDJM une copie du message envoyé lorsque vous l’avez contacté. De même, il peut être pertinent d’envoyer un document utile à votre travail d’enquête préalable mais qui ne serait pas évoqué dans l’article, faute de place.
Le CDJM peut juger nécessaire de communiquer ces éléments au requérant afin qu’il puisse réagir à son tour. Il le fait dans le strict respect du secret des sources et vous pouvez bien sûr vous y opposer pour éviter de fournir des éléments qui permettraient l’identification d’une source confidentielle.
6. Acceptez la médiation quand c’est possible
Tous les avis du CDJM ne portent pas sur de grandes questions déontologiques. Parfois, le requérant formule une critique bénigne ou portant sur un point qui n’est pas un enjeu majeur pour vous ; ainsi d’une erreur que vous n’avez jamais pris le temps de corriger dans un article publié en ligne.
Dans ce cas, le CDJM peut vous proposer une médiation : si vous et le requérant l’acceptez, une solution peut être trouvée ensemble – par exemple, l’ajout d’un rectificatif ou d’une précision. En cas d’accord, la procédure s’arrête là, et le CDJM ne publie pas un avis complet, il se contente de mentionner le résultat de la médiation sur son site.